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facilement reconnu qu’il avait à lui seul plus de connaissances en navigation que tous les autres réunis ensemble.

— Je crois que nous ne sommes pas loin du vingt-quatrième degré, à peu de distance du tropique, ce qui nous met au moins à seize degrés au sud du port où nous devons entrer. La chasse et l’ouragan nous ont écartés de plus de douze cents milles de la route que nous devions suivre.

— Heureusement, Mademoiselle, dit Ève, nous n’avons personne qui doive avoir de l’inquiétude pour nous, personne qui puisse prendre un intérêt bien vif au retard de notre arrivée. J’espère, Messieurs, que vous êtes également tranquilles à ce sujet ?

C’était la première fois qu’Ève avait jamais fait une question qui pouvait engager M. Blunt à faire quelque allusion à ses parents et à ses amis. À peine l’avait-elle faite, qu’elle s’en repentit, ce qui était fort inutile, car le jeune homme n’y répondit pas. M. Sharp dit que sa famille ne pourrait guère apprendre la situation dans laquelle il se trouvait que lorsqu’il lui écrirait pour annoncer son arrivée à New-York. Quant à mademoiselle Viefville, la mauvaise fortune qui l’avait réduite à remplir les fonctions de gouvernante ne lui avait presque laissé ni parents ni amis.

— Je crois que nous devons établir une garde cette nuit, dit Ève après un silence de quelques instants. N’est-il pas possible que les éléments nous réduisent à la même situation dans laquelle nous avons trouvé ce pauvre bâtiment danois ?

— Possible, certainement ; mais nullement probable, répondit M. Blunt. Nous sommes solidement amarrés, et ce récif, placé entre nous et l’Océan, nous sert admirablement de digue. On n’aimerait pas, sans secours comme nous le sommes, à échouer en ce moment sur une côte comme celle-ci.

— Pourquoi si particulièrement sans secours ? Faites-vous allusion à l’absence de l’équipage ?

— Sans doute, et au fait que nous ne pourrions trouver au besoin même un pistolet de poche pour nous défendre, puisque toutes les armes à feu, sans exception, ont été emportées.

— Ne pourrions-nous, dit M Sharp, rester ici cachés sur la côte quelques jours et même quelques semaines sans être découverts par les Arabes ?

— J’en doute fort. Des marins m’ont assuré que ces barbares rôdent sans cesse sur la côte, surtout après les coups de vent, dans l’espoir de trouver quelque bâtiment échoué, et qu’on a peine à concevoir avec quelle promptitude ils apprennent les calamités de ce