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— Parfaitement expliqué, et aussi clair que l’eau de la cale d’un bâtiment, qui ne peut arriver à l’archipompe. — Sir George, M. Dodge vous a-t il dit de quelle manière ces Arabes jouissent de la vie ? Ces messieurs, pour s’épargner la peine d’avoir des assiettes à laver, mangent une demi-douzaine à la fois sur le même plat. Cela est tout à fait républicain, monsieur Dodge ; il n’y a pas un seul atome d’orgueil dans leur esprit.

— Je dois avouer, capitaine, que, pendant le peu de temps que j’ai passé dans leur pays, plusieurs de leurs coutumes m’ont frappé comme étant simples et louables ; et j’ose dire qu’un homme qui aurait le loisir de les étudier, y trouverait des choses dignes d’admiration. Je puis facilement me figurer des situations dans lesquelles un homme n’a pas le droit de s’approprier un plat pour lui seul.

— Sans doute, et celui qui désirerait une chose si déraisonnable ne pourrait être qu’un glouton. Mais quelle belle chose est le sommeil ! Voyez ces braves gens ! ils ne pensent pas plus à leurs dangers et à leurs fatigues que s’ils étaient chez eux, choyés par de bonnes et pieuses mères. Les bonnes âmes qui les ont nourris, et qui chantaient des cantiques religieux en les berçant, ne songeaient guère pour quelle vie dure et pénible elles les élevaient. Mais nous ne connaissons jamais notre destin, ou nous serions pour la plupart de misérables chiens, n’est-il pas vrai, sir George ?

Le baronnet tressaillit à cette interpellation, ce qui produisit sur l’esprit du capitaine le même effet qu’un nuage qui obscurcit un paysage que le soleil éclairait ; et il bégaya à la hâte l’espoir qu’il n’y avait pas de raison particulière pour craindre que quelque obstacle sérieux ne retardât leur retour à bord du Montauk.

— Il n’est pas facile, répondit le capitaine en bâillant, avec des embarcations aussi légères que les nôtres, de conduire à la remorque un radeau si pesant, précisément dans la direction qu’on le désire. Celui qui se fie aux vents et aux vagues se fie à un ami très-douteux, à un ami qui peut lui manquer au moment où il a le plus grand besoin de ses services. Quelque belles que soient les apparences à présent, je donnerais mille dollars, pris dans une bourse où il n’y en a pas un seul qui n’ait été péniblement gagné, pour voir ces mâts arrivés en sûreté à bord du Montauk et mis à la place qu’ils doivent occuper. Ces mâts, Messieurs, sont pour un bâtiment ce que les membres sont pour le corps d’un homme : sans eux il flotte, vole et roule au gré des vents, des flots et des courants ; avec eux il se promène, danse, saute, crie et parle presque : les manœuvres dormantes sont les os et les cartilages ; les manœuvres courantes, les veines et