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que les relations d’amitié ne pourraient se maintenir beaucoup plus longtemps. Le vieux scheik lui-même les avait quittés, et au lieu de monter sur le bâtiment, il était allé joindre ceux qui étaient sur le rivage, ou on le voyait en conversation très-animée avec d’autres vieillards, qui étendaient souvent le bras vers ces embarcations et vers la partie de l’équipage qui était encore sur les rochers.

M. Leach se dirigea alors vers la barre avec deux canots et le cutter, ne prenant que deux rameurs dans chacun, et laissant sur la chaloupe le reste de son monde. Le but de cette mesure était que les embarcations ne se trouvassent pas trop pleines au moment critique, et qu’il y restât assez de place pour se battre et pour ramer, précaution qui était prise d’après les ordres préalables du capitaine Truck. Quand les embarcations arrivèrent aux rochers, on ne s’y jeta pas à la hâte, mais on passa un quart d’heure à faire les préparatifs du départ, comme si l’on n’eût pas été pressé de s’éloigner. Le capitaine se borna alors à faire partir un des canots avec le nombre d’hommes qu’il pouvait contenir, et qui se mirent à ramer sans se presser : ils s’arrêtèrent près de la barre, et prirent leurs armes afin de couvrir de leur feu le passage des autres si cela devenait nécessaire. Le cutter imita cette manœuvre, et le canot du bâtiment danois partit ensuite. Le capitaine fut le dernier qui quitta les rochers, mais il sauta sur le canot par un mouvement soudain et rapide.

Cependant pas un seul coup de mousquet ne fut tiré, et, ce qu’il avait à peine osé espérer, le capitaine arriva à la chaloupe avec tout son monde et en possession des mâts qu’il avait si ardemment désirés. La conduite pacifique des Arabes était un mystère pour lui, car, depuis deux heures, il s’était attendu à chaque instant à voir commencer les hostilités ; il n’était pourtant pas encore tout à fait hors de danger, quoiqu’il eût le temps de réfléchir et de prendre plus mûrement ses dernières mesures. Le premier rapport qu’on lui fit fut qu’on manquait d’eau et de vivres. On avait compté se pourvoir de ces objets essentiels sur le bâtiment danois ; mais l’empressement de s’emparer du mât de misaine, et ensuite la nécessité de veiller à la sûreté générale, avaient fait que personne n’y avait songé, ce qu’il fallait peut-être attribuer aussi à la circonstance qu’on savait que le Montauk n’était pas bien loin. Quelques provisions étaient pourtant désirables, sinon indispensables, pour des hommes qui avaient devant eux la perspective de plusieurs heures d’un travail forcé. La première idée du capitaine Truck fut de renvoyer un canot au bâtiment échoué pour en rapporter de l’eau et des vivres ; mais le temps étant menaçant, il renonça à ce projet, quoique à contre-cœur.