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que chose en faveur de la science des signes, il en vint à la même conclusion que le pauvre Arabe, avec la différence importante qu’il s’imagina que les Arabes avaient dessein de dîner aux dépens de ses propres membres. M. Lundi, dont l’esprit était plus robuste, rejeta bien loin une pareille idée, et crut la réfuter suffisamment en montrant à M Dodge deux ou trois jeunes chameaux, et en lui demandant s’il croyait qu’aucun homme, Turc ou chrétien, penserait à manger un être aussi maigre, aussi sec et aussi peu appétissant que lui, quand il avait à sa disposition une nourriture bien plus succulente.

— Prenez votre part de la liqueur pendant que la bouteille passe, ajouta-t-il, et ne vous inquiétez pas du dîner ; je ne doute pas qu’il ne soit substantiel et convenable. Si j’avais prévu l’honneur qu’on veut nous faire, j’aurais apporté au scheik un service de couteaux et de fourchettes de Birmingham, car il paraît réellement un homme comme il faut et bien disposé ; j’ose dire qu’il paraîtra encore plus à son avantage quand il aura mangé quelques tranches de chameau et qu’il les aura arrosées d’une ration proportionnée de schnaps. — Monsieur le scheik, je bois à votre santé de tout mon cœur.

Les hasards de la vie auraient à peine pu rassembler deux hommes d’un caractère plus différent que M. Lundi et M. Dodge ; ils offraient un tableau en raccourci, mais complet, de deux classes nombreuses de leurs nations respectives, et ils étaient si diamétralement opposés l’un à l’autre, qu’on aurait eu peine à les reconnaître pour des rejetons de la même souche. Le premier était lourd, obstiné et plein d’assurance ; il ne connaissait pas les détours, avait des manières cordiales, et ne manquait pas de sincérité, quoi qu’il fût adroit en affaires, malgré son air de franchise : le second avait l’esprit plus ouvert, était méfiant, rusé, menteur, flatteur, quand il croyait que son intérêt l’exigeait, envieux et médisant dans tout autre cas, et avait un extérieur froid, qui avait du moins le mérite d’avoir l’air de ne pas vouloir tromper. Tous deux avaient de forts préjugés ; mais dans M. Lundi, ces préjugés étaient la suite d’anciens dogmes en religion, en politique et en morale, tandis que, chez M. Dodge, c’était un vice résultant de son séjour constant en province et d’une éducation qui n’avait pas été à l’abri du fanatisme du xviie siècle. Cette différence de caractère fit qu’ils envisagèrent les choses sous un point de vue tout différent dans cette entrevue. Tandis que M. Lundi était disposé à prendre tout à l’amiable, M. Dodge était entièrement livré à ses soupçons ; et, s’ils fussent retournés au bâtiment en ce moment, celui-ci aurait appelé aux armes, tandis que l’autre aurait engagé le capitaine