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M. Dodge avait encore beaucoup d’autres objections à faire ; il en bégaya quelques-unes, mais il en conserva le plus grand nombre dans son cœur. Sans le malheureux plongeon qu’il avait fait, il aurait certainement fait valoir ses privilèges comme passager, et refusé positivement de se mettre en avant dans de telles circonstances ; mais il sentait qu’il s’était déshonoré aux yeux de l’équipage, et qu’un acte de vigueur décisif était indispensable pour rétablir sa réputation. D’une autre part, la neutralité maintenue jusqu’alors par les Arabes l’encourageait, et il penchait pour l’opinion que le capitaine Truck avait exprimée, que, tant qu’une troupe nombreuse d’Européens armés se montrerait sur le pont du bâtiment, le scheik, s’il avait tant soit peu de modération et de politique, ne voudrait pas en venir à des actes de violence.

— Vous pouvez lui dire, Messieurs, ajouta le capitaine Truck, que dès que j’aurai en ma possession ce mât de misaine, j’évacuerai le bâtiment, et que je le lui laisserai avec tout ce qu’il contient. Ce bâton ne peut lui servir à rien, et je l’ai cloué à mon cœur. Expliquez-lui, cela bien clairement, et je ne doute pas que nous ne nous séparions les meilleurs amis du monde. Souvenez-vous pourtant d’une chose, c’est que, dès que vous nous aurez quittés, nous allons travailler à soulever ce mât, et s’il y avait quelque symptôme d’attaque, donnez-nous l’alarme, afin que nous ayons le temps de prendre nos armes.

Ce fut ainsi que M. Dodge se laissa persuader de se charger de cette mission ; mais ses réflexions et ses craintes lui en fournirent un nouveau motif, qu’il eut grand soin de ne pas laisser entrevoir. S’il y avait un combat, il savait qu’il serait obligé d’y prendre part s’il restait avec ses compagnons de voyage ; au lieu qu’étant avec les Arabes, il pourrait se cacher quelque part jusqu’à ce que l’affaire fût terminée ; car pour un homme de son caractère, la crainte de l’esclavage était beaucoup moins forte que celle de la mort.

M. Lundi et son collègue, emportant la caisse de liqueurs et quelques légers présents trouvés sur le bâtiment échoué, partirent précisément à l’instant où l’équipage, assuré que les Arabes étaient encore tranquilles, commençait à s’occuper sérieusement de son dernier et grand travail. Le capitaine conduisit ses ambassadeurs jusque sur le rivage, où il prit congé d’eux ; mais il s’y arrêta quelque temps pour examiner ce qui se passait dans le camp, qui était à environ cent toises de l’endroit où il se trouvait. Le nombre des Arabes n’avait certainement pas été exagéré ; mais ce qui lui donna le plus d’inquiétude, fut le fait que des détachements d’Arabes semblaient en communi-