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Le capitaine Truck savait combien la possession de ce mât lui était importante, car il pouvait encore tirer parti de la portion du mât de misaine qui restait sur le paquebot ; mais sans ce grand mât il ne pouvait gréer rien qui pût répondre à ses besoins. Se précipitant sur l’escalier dont il a déjà été parlé, il cria aux matelots de le suivre afin de lancer le mât à la mer avant le déjeuner.

— Assurons-nous de ce bâton, mes amis, ajouta-t-il, car c’est notre principal appui. Avec ce mât sur le Montauk je réponds du voyage. Personne ne doit songer à son appétit avant qu’il soit à l’abri de tout risque. Il faut que nous l’ayons, quand nous devrions faire la guerre à l’empereur de Maroc pour nous en mettre en possession.

L’équipage sentait la nécessité de faire de grands efforts, et il travailla en conséquence. La hune du grand mât fut décapelée et portée à l’eau ; le mât ne tarda pas à la suivre, quoique non sans peine, attendu qu’on y avait laissé les élongis, mais la pente des sables facilita le travail. Dès qu’il fut au bord de l’eau, la tête du mât fut mise à flot à l’aide d’aspects, ou du moins à si peu de chose près, qu’une très-grande force n’était pas nécessaire pour le remuer ; ensuite on attacha à l’autre extrémité du mât une amarre d’un des canots, et la hune fut amarrée le long d’un canot.

Alors le capitaine s’écria : — Soulevez le mât avec des anspects, halez sur l’amarre et tenez le mât droit ! — Halez tous ensemble, et la tête va flotter ! — Et vous, dans le canot, halez aussi ensemble et comme si vous étiez des géants ! — Vous avez cette fois gagné trois pieds, mes braves ; encore un effort ! — Halez avec le même ensemble que des filles qui dansent un cotillon ! — Courage, enfants ! — Encore un bon coup et que ce soit le dernier ! Que diable regardez-vous là-bas, vous, sur le mât de misaine ? N’avez-vous rien de mieux à faire que de vous amuser à voir nos efforts nous faire sortir les entrailles du corps.

L’intérêt qu’on prenait à s’assurer la possession du grand mât s’était communiqué à l’homme en vigie : au lieu d’avoir les yeux fixés sur le désert, comme il en avait reçu l’ordre, il regardait les travailleurs qui étaient sur le sable, et il montrait l’intérêt qu’il prenait à leurs efforts en penchant le corps en avant comme pour les aider dans leur travail. Averti par cette réprimande, il tourna sur-le-champ la tête du côté du désert, et l’instant d’après il s’écria : — Les Arabes ! les Arabes !

Chacun cessa son travail, et tous allaient courir à leurs armes quand la voix ferme du capitaine Truck les arrêta :

— Où sont-ils ?