Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit le capitaine bâillant comme un lévrier, et que ce soit un gaillard ayant de bons yeux, et non un de ces drôles qui se collent le nez aux feuilles d’un almanach pour savoir quel temps il fait ; qu’il ait toujours les yeux fixés sur le désert, pour voir s’il y paraît des Arabes.

Quoique les haubans et les étais des trois mâts eussent déjà été enlevés, un cartahu fut placé à chaque mât, et un homme fut hissé sans aucun délai au haut du mât de misaine. Comme il ne faisait pas encore assez jour pour bien distinguer les objets, le capitaine le héla et lui ordonna de rester où il était, de ne descendre que lorsqu’il en recevrait l’ordre, et de ne pas perdre de vue le désert un seul instant.

— Nous avons eu cette nuit, dit-il tout haut, la visite d’un Arabe ; et comme c’était un gaillard qui avait l’air d’avoir l’estomac vide, à moins qu’il ne soit plus sot que je ne le crois, il ne tardera pas à revenir pour attaquer le bœuf salé et le stockfisch de ce bâtiment. Surveillez donc le désert avec soin.

Les hommes de l’équipage, quoique habitués aux plaisanteries de leur commandant, se regardèrent les uns les autres d’un air plus sérieux, jetèrent un coup d’œil sur les armes, et cet avis indirect produisit tout l’effet qu’en attendait le capitaine, celui de les engager à travailler avec une triple activité.

— Qu’ils mâchent cela au lieu de leur chique, dit le capitaine à M. Leach en cherchant dans la cuisine un charbon rouge pour allumer son cigare ; je vous réponds que le travail des bigues n’en ira pas plus lentement pour cela, quelque désespérés philosophes que soient quelques-uns d’entre eux.

Ce pronostic se vérifia, car, au lieu de bâiller et d’étendre les bras, comme ils le faisaient une minute auparavant, les matelots commencèrent à se mettre tout de bon à l’ouvrage, s’appelant les uns les autres, et se dispersant sur les palans, sur les barres du cabestan et au pied des bigues, pour les maintenir.

— Virez ! s’écria M. Leach, souriant en voyant le bon effet qu’avait produit la nouvelle annoncée par le capitaine ; virez ! un coup de force, et mâtons ces bigues !

Comme cet ordre fut exécuté avec précision, il ne faisait pas encore grand jour quand les bigues furent mâtées et bien assurées. Chacun déployait à l’envi son activité ; et comme le travail était dirigé par des hommes dont les connaissances n’étaient jamais en défaut, tout autre qu’un marin aurait été surpris de la promptitude avec laquelle le grand mât, tout pesant qu’il était, fut élevé en l’air, et y resta suspendu assez haut pour être poussé par dessus le bord. Le descendre n’était plus qu’une bagatelle, et ce mât fut bientôt étendu sur le sable.