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que moi le moyen de l’employer utilement pour exécuter notre projet, et je crois pouvoir assurer qu’il y contribuera pour une pareille somme.

— Vous le pouvez certainement, ma chère enfant ; j’en donnerai même le double, s’il le faut. — John, voici l’occasion de vous montrer.

— Inscrivez-moi pour ce qu’il vous plaira, répondit John Effinfham, dont la charité en action était aussi étendue qu’elle paraissait limitée dans ses discours ; cent livres, mille livres pour racheter ces pauvres gens.

— Je crois, Monsieur, que nous devons tous suivre un si bon exemple, dit M. Sharp en donnant à son tour un billet de cent livres, et j’espère que notre projet réussira. Je crois qu’il peut être exécuté par quelqu’un des consuls européens à Mogador.

M. Dodge fit beaucoup d’objections, car ses moyens ne lui permettaient véritablement pas de donner une si forte somme, et son caractère était trop envieux et trop jaloux pour qu’il pût se résoudre à avouer son infériorité, même sous le rapport de la fortune. Il était depuis si longtemps habitué à soutenir, contre le témoignage de ses sens, « qu’un homme en valait un autre, » que, comme tous ceux qui admettent ce dogme impraticable, il avait tacitement admis au fond de son cœur l’ascendant vulgaire et général de l’argent ; mais il ne voulait pas avouer sa faiblesse sur ce point délicat, après avoir déclamé si haut toute sa vie contre toute infériorité quelconque. Il se retira donc plein de fureur et d’envie, parce que d’autres avaient eu la présomption de donner une somme dont il n’était réellement pas en son pouvoir de disposer.

D’une autre part, mademoiselle Viefville et M. Lundi montrèrent en cette occasion toute la supériorité de leur esprit, de leur âme et de leurs sentiments. La première remit tranquillement un napoléon à M. Effingham, qui reçut cette offrande avec la même politesse et le même air de plaisir qu’il avait reçu les dons plus considérables ; et le second présenta un billet de cinq cents livres avec un air de bonne volonté qui fit oublier à ses compagnons bien des verres de punch qu’il avait bus.

Pendant qu’on faisait cette collecte, Ève n’osa lever les yeux sur M. Blunt, et elle éprouva du regret en ne le voyant pas y contribuer. Elle garda le silence, mais elle devint pensive et parut même affligée. Elle se demanda s’il était possible qu’un jeune homme qui, d’après sa manière de vivre, devait jouir d’un revenu considérable, eût été assez inconsidéré pour se priver des moyens de faire ce qu’il aurait certainement fait avec tant de plaisir. Ceux qui composaient la com-