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crois que voici à peu près ce que c’est. — L’Amérique produisit autrefois un philosophe très-célèbre nommé Franklin.

— Comment donc, ma chère ! tout le monde le connaît.

— Ce M. Franklin commença par être ouvrier imprimeur. Mais comme il vécut longtemps et qu’il s’éleva par son mérite aux plus hautes places, il devint philosophe, comme il était devenu physicien à force d’étude et d’application. Or l’Amérique fourmille aujourd’hui d’imprimeurs qui se croient des Franklins, jusqu’à ce que le temps et l’expérience leur aient donné des leçons de modestie.

— Mais le monde n’a encore vu qu’un seul Franklin.

— Et il n’est guère probable qu’il en voie bientôt un autre. En Amérique on apprend aux jeunes gens, avec assez de raison, qu’avec du mérite ils peuvent parvenir à tout ; et, toujours suivant mon cousin John, il ne s’en trouve que trop qui s’imaginent que, parce qu’ils peuvent tirer parti des bonnes qualités qu’ils peuvent avoir, quelles qu’elles soient, ils sont réellement propres à tout. M. John convient que cette circonstance, particulière au pays, fait beaucoup de bien, mais il soutient en même temps qu’elle fait beaucoup de mal en donnant des prétentions à une foule de gens sans aucun mérite ; il dit que M. Dodge est de ce nombre. Au lieu de travailler à la partie mécanique d’une presse, ce qui était son premier métier, il a eu l’ambition d’en diriger la partie intellectuelle, et il est devenu l’éditeur du Furet Actif.

— Ce doit être un journal bien utile.

— Il répond probablement à ses vues. Vous avez dû voir que c’est un homme ignorant et plein de préjugés de province, qu’il fait sans doute circuler dans son journal, avec tout ce que peuvent y ajouter l’animosité personnelle, l’envie et la malignité, qui sont le caractère distinctif des hommes à prétentions, qui s’imaginent n’avoir que de l’ambition. Mon cousin John assure que l’Amérique est pleine de gens comme lui.

— Et que dit M. Effingham ?

— Oh ! mon père est toute bonté, toute charité, vous le savez ; et il ne regarde que le beau côté du tableau ; car il soutient que l’activité et l’élasticité d’un tel état de choses produit de bons résultats. Tout en avouant qu’il existe un grand fonds d’ignorance grossière qu’on décore du nom de savoir, — une intolérance à vues étroites qui se masque sous le nom de principes et d’amour de la liberté, un goût pour les personnalités grossières, aussi contraires au bon goût qu’à la justice, — il prétend qu’au total le résultat en est bon.

— En pareil cas, il faut un arbitre. — Vous me parliez de quelques