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et à ses caprices, préféra nonchalamment ses aises du moment au soin de sa sûreté.

M. Dodge avait la manie américaine de la précipitation, et il avait été le premier à proposer un départ en masse dès qu’on sut que le capitaine du transport consentait à recevoir les passagers. Il avait été activement occupé toute la nuit à se former un parti et à faire décider que la prudence exigeait que le Montauk fût entièrement évacué. Mais quand ce projet eut échoué, il insista éloquemment sur ce que le capitaine Truck devait se soumettre à l’avis de la majorité ; mais il ne le fit qu’à voix basse et en cachette, car il était trop prudent et trop pur démocrate pour parler tout haut, à moins qu’abrité par l’opinion publique. Il aurait pu tout aussi bien invectiver contre l’ouragan dans l’espoir de faire cesser la tempête, que de faire une pareille tentative contre la fermeté du vieux marin en tout ce qui concernait son devoir ; car, dès que le capitaine Truck en entendit parler, il notifia son refus positif d’un ton qu’il était peu accoutumé à prendre avec ses passagers, et qui imposa silence à toutes remontrances. Quand ces deux plans eurent avorté, M. Dodge fit les plus grands efforts pour démontrera sir George que son intérêt et sa sûreté exigeaient qu’il émigrât du Montauk. Mais, malgré toute son éloquence, malgré l’ascendant que son adulation perpétuelle lui avait donné sur l’esprit du baronnet, il ne put l’emporter sur l’amour de celui-ci pour ses aises et surtout sa passion pour les nombreux objets de curiosité dont il faisait ses délices. Il est vrai qu’on aurait pu placer dans une malle les trente-six pantalons, ainsi que les rasoirs, les pistolets, la toilette portative et beaucoup d’autres merveilles ; mais sir George aimait à les contempler toutes chaque jour, et il en avait toujours la plus grande partie étalée sous ses yeux.

À la surprise générale, M. Dodge, trouvant impossible de déterminer sir George Templemore à quitter le paquebot, annonça tout à coup la résolution d’y rester aussi. Dans un pareil moment, peu de personnes s’inquiétèrent des motifs qui l’y avaient décidé, mais il protesta à son compagnon de chambre que la vive amitié qu’il avait conçue pour lui pouvait seule le résoudre à renoncer à l’espoir d’arriver en Amérique avant les élections d’automne.

M. Dodge n’avait pas beaucoup exagéré en parlant ainsi. Il était démagogue américain précisément par suite de sentiments et d’inclinations qui auraient fait de lui un courtisan en tout autre pays. Il est vrai qu’il avait voyagé, ou qu’il croyait avoir voyagé en diligence avec une comtesse ; mais la force des circonstances l’avait obligé à s’en séparer bientôt, au lieu qu’il avait ici un baronnet, un