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savez que je suis votre ami, et d’ailleurs vous n’avez rien à appréhender. Mais je n’en dirais pas autant de tous les passagers, car il en est pour qui j’ai une antipathie décidée, et dont la conduite a encouru ma complète désapprobation.

— Et vous avez dessein d’en parler dans vos articles ?

M. Dodge se redressa avec l’air d’orgueil d’un homme sans éducation, qui non-seulement s’imagine posséder un pouvoir qui fait trembler les autres, mais est assez aveugle sur ses propres qualités pour se figurer que son opinion est d’une grande importance pour ceux que son envie le force à reconnaître comme lui étant infiniment supérieurs. Il n’osa pourtant se livrer à toute sa méchanceté, mais il lui fut impossible de la cacher entièrement.

— Ces Effingham, ce M. Sharp, ce M. Blunt, murmura-t-il, croient qu’ils valent mieux que tous les autres ; mais nous verrons. L’Amérique n’est pas un pays où les gens puissent s’enfermer dans leur chambre et s’imaginer qu’ils sont des lords et de grandes dames.

— Sur mon âme ! s’écria le capitaine en affectant un ton de simplicité, comment avez-vous découvert cela, monsieur Dodge ? — Quelle belle chose, sir George ; d’être un furet actif !

— Oh ! je vois fort bien quand un homme est tout gonflé de l’idée de son importance. Quant à M. John Effingham, il a passé tant de temps à l’étranger, qu’il a oublié qu’il retourne dans un pays ou tous les hommes sont égaux en droits.

— Très-vrai, monsieur Dodge ; dans un pays où un homme ne peut s’enfermer dans sa chambre quand l’envie lui en prend. C’est là le vrai moyen de faire une grande nation, sir George ; et vous voyez que la fille deviendra probablement digne de la mère. — Mais, mon cher monsieur Dodge, êtes-vous sûr que M. John Effingham ait réellement une si haute idée de lui-même ? il serait fort désagréable de faire une bévue dans une affaire si sérieuse. Vous devriez vous rappeler la méprise d’un Irlandais.

— Quelle est cette méprise ? demanda le baronnet, complètement dupe de la gravité imperturbable du capitaine, dont on pourrait dire que le caractère s’était formé par une longue habitude de traiter avec un froid mépris tous les faibles de ses semblables. — Nous entendons d’excellentes choses dans notre club ; mais je ne me souviens pas de la méprise de l’Irlandais.

— Il prit tout simplement le tintement de son oreille pour quelque bruit inexplicable qui devait incommoder ses compagnons.

M. Dodge se sentit mal à l’aise, car il n’y a personne qu’un homme d’un esprit grossier redoute plus qu’un railleur qui conserve toujours