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bâtiments suivirent alors deux lignes parallèles pendant quelques minutes, avec un tel roulis, qu’on voyait briller le cuivre dont la corvette était doublée presque jusqu’à sa quille. Le capitaine anglais, qui semblait ne faire qu’un avec son bâtiment, essaya une seconde fois son porte-voix, et deux ou trois individus à bord du Montauk entendirent les mots : « en panne, — ordres, — communication ; » mais il fut impossible de former un sens suivi, au milieu du tumulte du vent et des vagues. L’Anglais ne fit plus d’efforts pour se faire entendre. Les deux bâtiments étaient alors si voisins, et avaient un tel roulis qu’il semblait que leurs mâts allaient se toucher. Il y eut un instant où M. Leach mit la main sur le grand bras pour le larguer ; mais l’Écume partit sur une vague comme un cheval qui sent l’éperon, et, désobéissant au gouvernail, s’élança dans la direction de l’étrave du paquebot.

Ce fut un moment de consternation générale, car à bord des deux bâtiments chacun pensait que les deux navires devaient alors inévitablement s’aborder, d’autant plus que le Montauk avait reçu l’impulsion de la vague à l’instant ou l’Écume la perdait et semblait sur le point de s’élancer en droite ligne sur l’arrière de la corvette. Les marins eux-mêmes saisirent les cordages qui étaient près d’eux, et les plus hardis furent un moment sans pouvoir respirer. Le « Babord ! babord tout ! et qu’il aille au diable ! » du capitaine Truck, et le « Tribord ! tribord tout ! » du capitaine anglais se firent entendre distinctement sur les deux bords, car c’était un de ces moments dans lesquels les marins peuvent parler plus haut que la tempête. Les deux bâtiments semblèrent s’écarter l’un de l’autre avec effroi, et alors chacun d’eux suivit une ligne divergente, l’Écume étant en avant. Toute autre tentative de communication devint sur-le-champ inutile : la corvette, au bout d’un quart-d’heure, avait une avance d’un demi-mille sur le paquebot, et par suite du roulis les bras de sa vergue touchaient presque l’eau.

Le capitaine Truck dit peu de chose à ses passagers sur cette aventure ; mais quand il eut allumé un cigare, et qu’il discuta cette affaire avec M. Leach, il lui dit qu’il y avait eu un instant où il n’aurait pas donné un biscuit des deux bâtiments, ni beaucoup plus de leur cargaison ; et qu’il fallait avoir bien peu d’égard pour les âmes des hommes, d’oser les mettre dans un si grand danger pour un peu de tabac.

L’ouragan continua à être furieux pendant toute la journée, car le bâtiment se lançait dans le vent, phénomène que nous expliquerons, attendu que la plupart de nos lecteurs peuvent ne pas le com-