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aurait fallu la clarté du jour pour voir distinctement les objets ; sa membrure noire, qui n’était variée que par une bande étroite peinte en blanc, et coupée par des sabords ; le brillant de ses bastingages, la légèreté de sa mature, l’élégance de ses formes, sa grâce sur l’eau, l’ensemble du gréement, annonçaient à tous ceux qui avaient quelques connaissances en marine que c’était un bâtiment de guerre ; et le capitaine Truck ajouta que c’était celui qui les poursuivait depuis si longtemps, l’Écume.

— Il est à batterie barbette, continua-t-il, et il est obligé de porter plus de voiles que nous pour se tenir à l’abri des vagues ; car, si une de ces grosses lames l’atteignait et jetait sa cime sur le pont, il serait comme un homme qui a bu un coup de trop le samedi soir, et il ne faudrait qu’une seconde dose pour régler tous ses comptes.

Telle était dans le fait l’histoire de l’apparition soudaine de la corvette. Elle s’était maintenue à la cape le plus longtemps possible, et se trouvant forcée de faire vent arrière, elle portait son grand hunier aux bas ris, ce qui lui donnait un avantage sur le paquebot d’environ deux nœuds par heure. Suivant nécessairement la même route, elle était sur le point de l’atteindre quand le jour commença à poindre. Le cri qu’on avait entendu s’était élevé à l’instant où on l’avait aperçue, et le moment était arrivé où elle allait se trouver par le travers du Montauk. Le passage de l’Écume, dans de telles circonstances, était un spectacle imposant et même effrayant. On voyait aussi son capitaine dans les haubans du mât d’artimon de son bâtiment, bercé par les vagues énormes sur lesquelles il voguait. Il tenait en main un porte-voix comme s’il n’eût songé qu’à son devoir, même au milieu de la lutte terrible des éléments. Le capitaine Truck demanda le sien, et craignant les suites d’un choc, il en fit signe à l’autre de se tenir plus au large. Ou ce signe fut mal compris, le capitaine anglais étant trop occupé de sa besogne pour songer à autre chose ; ou la mer était trop irrésistible pour qu’il pût s’y conformer, la corvette arrivant par le travers du paquebot, et étant à une proximité effrayante. L’Anglais approcha, le porte-voix de sa bouche, et l’on entendit quelques mots au milieu des sifflements du vent. Le pavillon de la vieille Angleterre, avec sa croix de Saint-George sur un fond blanc, s’élevait alors au-dessus des lisses ; et avant qu’il eût atteint la corde d’artimon, l’étamine en était déchirée en lambeaux.

— Montrez-lui le gril ! s’écria le capitaine Truck à l’aide de son porte-voix, la bouche tournée vers le pont.

Comme tout était prêt, cet ordre fut exécuté à l’instant, et bientôt le pavillon américain fut déchiré de la même manière. Les deux