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fussent venus à bord sous leur nom véritable ; ils auraient du moins montré plus de respect pour nous, quoiqu’ils assurent tous deux qu’ils ignoraient que mon père retournât en Amérique, sur le Montauk ; circonstance qui peut être vraie, car vous savez que nous avons eu des chambres qui avaient d’abord été retenues par d’autres.

— Je serais bien fâchée que l’un ou l’autre eût manqué au respect qu’ils vous doivent.

— Il n’est pas très-flatteur pour une jeune personne de se trouver involontairement obligée de garder les secrets de deux jeunes gens ; voilà tout, ma bonne Nanny. Nous ne pouvons honnêtement les trahir, et par conséquent nous sommes leurs confidentes forcées. Le plus amusant de cette affaire, c’est qu’ils connaissent, du moins en partie, le secret l’un de l’autre, ce qui leur donne en cent occasions un air gauche qui a quelque chose de délicieux. Quant à moi, je n’ai aucune pitié d’eux, car je crois qu’ils sont punis comme ils le méritent. Ils seront bien heureux si leurs domestiques ne les trahissent pas avant que nous arrivions à New-York.

— Oh ! il n’y a rien à craindre à cet égard : ce sont des hommes discrets et circonspects ; et s’ils avaient été disposés à jaser, M. Dodge leur en aurait déjà fourni bien des occasions. Je crois qu’il leur a fait autant de questions qu’il y en a dans le catéchisme.

M. Dodge est un homme qui a le ton et les manières les plus communes.

— C’est ce que nous disons tous dans la chambre des domestiques, et chacun y est tellement prononcé contre lui qu’il y a peu d’apparence qu’il apprenne quelque chose par ce moyen. J’espère, miss Ève, que Mamerzelle ne soupçonne aucun de ces deux jeunes gens ?

— Vous ne pouvez croire mademoiselle Viefville capable d’indiscrétion, Nanny ; il n’existe personne qui ait un meilleur cœur et un meilleur ton.

— Ce n’est pas cela, miss Ève ; c’est que je voudrais avoir avec vous un secret de plus qui fût à moi seule. J’honore et je respecte Mamerzelle, qui a fait pour vous mille fois plus que n’aurait pu faire une pauvre femme ignorante comme moi, avec tout mon zèle : mais je crois que j’aime le ruban de vos souliers plus qu’elle n’aime votre âme aussi bonne que belle.

— Mademoiselle Viefville est une excellente femme, et je crois qu’elle m’est sincèrement attachée.

— Ce serait une misérable sans cela. Je ne nie pas son attachement, je dis seulement que son attachement n’est rien, ne doit, ne peut rien être ; auprès de celui d’une femme qui vous a reçue la pre-