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CHAPITRE XIII.


Il y a deux choses dans ma destinée : — un monde à parcourir, et rester avec toi.
Byron.



Ève Effingham dormit peu. Quoique le mouvement du bâtiment eût été beaucoup plus fort et plus désagréable quand il avait eu à lutter contre le vent debout, dans aucune autre occasion il n’y avait eu tant de signes du choc violent des éléments que pendant cet ouragan. Étendue sur sa couchette, elle avait l’oreille à un pied des vagues mugissantes, et tous ses membres tremblaient involontairement en entendant leur bouillonnement, comme si elles se fussent déjà frayé un passage à travers les coutures du bâtiment et qu’elles commençassent à le remplir. Elle fut longtemps sans pouvoir dormir, et resta deux heures les yeux fermés, écoutant avec effroi le bruit de la lutte terrible qui avait lieu sur l’Océan. La nuit n’avait pas sa tranquillité ordinaire, car le rugissement des vents était perpétuel, quoique le bruit en fût amorti par les ponts et les côtés du bâtiment ; mais de temps en temps une porte s’ouvrait, et laissait en quelque sorte entrer toute cette scène dans la grande chambre. Dans ces instants, chaque son était distinct, imposant et effrayant, et la voix de l’officier de quart qui donnait des ordres, semblait un cri précurseur du danger sortant des profondeurs de l’Océan.

Enfin, fatiguée par ses craintes mêmes, Éve tomba dans un sommeil agité, pendant lequel ses facultés engourdies étaient encore sur le qui-vive, et ses oreilles ne cessèrent pas un instant d’entendre le tumulte menaçant de la tempête. Vers minuit la clarté d’une chandelle frappa ses yeux, et elle s’éveilla sur-le-champ. En se soulevant sur son lit, elle vit Nanny Sidley qui avait si longtemps veillé sur son enfance, debout à côté d’elle, et la regardant avec inquiétude.

— Quelle nuit terrible, miss Ève ! lui dit à demi-voix la bonne femme épouvantée ; je n’ai pu dormir un seul instant, tant j’ai pensé à vous et à tout ce qui peut nous arriver sur ces eaux redoutables !

— Et pourquoi particulièrement à moi, ma bonne Nanny ? dit Ève en la regardant avec un sourire aussi doux que celui de l’enfant qui sourit dans ses moments de tendresse et de plaisir ; pourquoi tant songer à moi ? N’y a-t-il pas d’autres personnes qui méritent aussi que vous pensiez à elles ? — mon excellent père, — mademoiselle Viefville, — mon cousin John, vous-même, — et… — ici la couleur vermeille de ses joues prit une teinte plus foncée ; quoiqu’elle n’eût pu dire pourquoi, — et tant d’autres à bord de ce paquebot, à