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Le capitaine Truck, à ces mots, recommença à enfoncer des étoupes dans ses coutures, car l’air calme de M. Sharp avait fait impression sur lui ; et comme il réfléchissait sur les résultats du fait que son oracle aurait été un cuisinier, il pensa qu’il ne ferait pas mal de manger pour aider à la réflexion. Après avoir avalé sept à huit anchois, autant d’huîtres marinées, une douzaine d’olives, et des raisins, des figues et des amandes à discrétion, il donna tout à coup un grand coup de poing sur la table, et déclara son intention d’interroger à ce sujet les deux dames.

— Ma chère miss Effingham, dit-il, voulez-vous me faire l’honneur de me dire si vous avez jamais entendu parler d’un cuisinier nommé Vattel ?

— Très-certainement, capitaine. Non-seulement Vattel était cuisinier, mais peut-être le plus célèbre de tous ceux qui soient connus dans l’histoire, par ses sentiments du moins, si ce n’était par son habileté.

— Ne craignez rien à cet égard : Vattel était homme à bien faire tout ce qu’il aurait entrepris. — Est-il vrai, mademoiselle Viefville, qu’il était votre compatriote ?

Assurément, M. Vattel a laissé des souvenirs plus distingués qu’aucun autre cuisinier de son pays.

Le capitaine Truck jeta un coup d’œil rapide sur Saunders, qui était plongé dans l’admiration et le ravissement en voyant son importance s’accroître par cette découverte inattendue, et il lui dit avec cette manière sténographique qu’il prenait en parlant au chef de l’office :

— Entendez-vous cela, Monsieur ? Ayez soin de découvrir ce que c’est que ces souvenirs, et de m’en faire un plat dès que nous serons arrivés. J’ose dire que vous en trouverez sur le marché de Tulton ; et pendant que vous y serez, songez à m’acheter des langues. Je n’ai pas fait un demi-souper ce soir, faute d’en avoir. Ces souvenirs doivent être un mets délicieux, puisque Vattel en faisait tant de cas. — Mais dites-moi, Mademoiselle, est-il mort ?

Hélas ! oui. Comment aurait-il pu vivre avec une épée passée à travers son corps ?

— Ah ! tué en duel, j’en suis sûr. Si la vérité était connue, on verrait qu’il est mort pour soutenir ses principes. J’aurai désormais un double respect pour ses opinions ; car c’est là la pierre de touche de l’honneur d’un homme. — Monsieur Sharp, buvons un verre de geissenheimer à sa mémoire. On en fait autant pour des gens qui le méritent moins.