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buste de ces deux hommes si chers à son cœur, et jamais elle ne l’avait fait sans être surprise de la forte différence de l’expression de leurs traits, qu’elle n’avait jamais été en état de faire passer dans ses dessins. Le fait est que le caractère subtil de la physionomie de John Effingham aurait embarrassé un peintre qui aurait fait de son art l’étude de toute sa vie, et mettait en défaut la jeune et belle artiste qui dessinait avec grâce, mais qui ne pouvait avoir une connaissance profonde de l’art du dessin. Tous les traits de caractère qui rendaient son père si aimable et si attrayant, et qu’on sentait plutôt qu’on ne les apercevait, étaient, dans son cousin, saillants et prononcés, et, si l’on peut s’exprimer ainsi, s’étaient endurcis par suite de ses souffrances mentales et d’amères déceptions.

Les deux cousins étaient riches, mais d’une manière aussi différente que leurs dispositions et leur manière de penser. Édouard avait hérité d’un beau domaine territorial qui lui produisait un revenu considérable, et qui l’attachait à notre monde d’Amérique, à ses terres et à ses eaux. John, le plus riche de beaucoup, était devenu le maître, à la mort de son père, d’une grande fortune commerciale, et ne possédait pas même assez de terre pour s’y faire enterrer. Comme il le disait quelquefois avec dérision, il gardait son or en corporations qui n’avaient pas plus d’âme que lui-même.

Cependant John Effingham était un homme d’un esprit cultivé, ayant beaucoup vu le monde, et dont les manières variaient suivant l’occasion, ou peut-être vaudrait-il mieux dire suivant son humeur. À cela près, les deux cousins se ressemblaient, l’égalité du caractère d’Édouard se répandant sur toute sa conduite, quoiqu’il eût aussi une parfaite connaissance de la société.

Ils s’étaient embarqués à Londres le 1er octobre, cinquantième anniversaire de leur naissance, à bord d’un paquebot se rendant à New-York ; les terres et la demeure du propriétaire étaient situées dans l’état qui porte ce nom, et c’était là qu’étaient nés Ève et les deux cousins. Il n’est pas ordinaire que les passagers de Londres s’embarquent dans les docks de cette ville ; mais M. Effingham le père, comme nous l’appellerons en général pour le distinguer de John, qui était célibataire, en vieux voyageur plein d’expérience, avait résolu d’habituer sa fille aux odeurs du bâtiment avant qu’il prît le large, dans l’espoir de lui éviter le mal de mer, et dans le fait elle n’en fut pas attaquée une seule fois pendant tout le voyage. Ils étaient donc à bord depuis trois jours, quand le bâtiment jeta l’ancre à la hauteur de Portsmouth, où les autres passagers devaient le rejoindre le jour où s’ouvre la scène de notre histoire.