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— En ce cas, nous ne nous séparerons jamais, ma chère demoiselle ; vous n’avez qu’à rester en Amérique, pour éviter à l’avenir tous les inconvénients de l’Océan. Oubliez seulement le danger, et admirez la sublimité de ce terrible panorama.

Ève pouvait bien nommer ainsi cette scène. Les périls qu’on avait alors à éviter étaient que le bâtiment ne coiffât, ou ne vînt à engager. Rien ne peut sembler plus facile, comme on l’a dit, que de voguer vent arrière, cette expression étant passée en proverbe ; mais y il a des instants où même un vent favorable devient une source féconde de dangers, et nous allons les expliquer en peu de mots.

La vitesse de la lame, quand elle est poussée par un ouragan, est souvent égale à celle du bâtiment, et quand cela arrive, le gouvernail devient inutile, parce qu’il tire tout son pouvoir de son action comme corps mobile contre un élément comparativement en repos. Quand le bâtiment et l’eau avancent ensemble avec la même vitesse, et dans la même direction, ce pouvoir du gouvernail est nécessairement paralysé, et le bâtiment, dans sa route, reste à la merci des flots et du vent. Ce n’est pas tout encore. La rapidité des vagues excède quelquefois celle du navire, et alors l’action du gouvernail se fait sentir momentanément en sens inverse, et produit un effet exactement contraire à celui qu’on désire. Il est vrai que cette dernière difficulté ne dure jamais que quelques instants, sans quoi la situation du marin serait désespérée ; mais elle se présente souvent, et si irrégulièrement, qu’elle défie les calculs et déjoue la prudence. Dans le cas dont il s’agit, le Montauk semblait voler sur l’eau, tant son sillage était rapide ; mais quand une lame furieuse l’atteignait dans sa course, il plongeait lourdement dans la mer, comme un animal blessé, qui, désespérant d’échapper, se laisse tomber sur le gazon, résigné à son destin. Dans de pareils instants, le haut des vagues passait à ses côtés comme des vapeurs dans l’atmosphère, et un homme sans expérience aurait pu croire que le bâtiment était stationnaire, quoiqu’il voguàt réellement avec une vélocité effrayante.

Il est à peine nécessaire de dire que, pour courir vent arrière, il faut faire la plus grande attention au gouvernail, pour pouvoir replacer promptement le bâtiment dans la direction convenable s’il en est écarté par la force des vagues ; car, indépendamment de ce qu’il perd son aire dans le bouillonnement des eaux, — péril imminent en lui-même si on le laisse exposé à l’attaque de la vague suivante, ses ponts seraient du moins balayés, quand même il échapperait à une calamité encore plus sérieuse.

Acculer est un danger d’une autre espèce, et l’on y est aussi par-