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facile à un bâtiment que de voguer vent arrière, quelle que soit la force d’un ouragan : le marin seul en connaît les difficultés et les dangers. Mais nous n’en parlerons pas d’avance, et nous les laisserons se présenter régulièrement dans le cours de cette relation.

Longtemps avant midi, le capitaine Truck avait prévu qu’il serait forcé de mettre son bâtiment vent arrière. Il différa cette manœuvre jusqu’au dernier moment, par des raisons qui lui parurent suffisantes. Plus il tenait son bâtiment à la cape, moins il s’écartait de sa route, et plus il était probable qu’il pourrait échapper à l’Écume à la dérobée, puisque ce bâtiment, en maintenant mieux sa position, permettait au Montauk de dériver graduellement sous le vent, et par conséquent de se placer à une plus grande distance.

Mais enfin la crise n’admit plus de délai. Tout l’équipage fut appelé sur le pont ; le grand hunier fut cargué, non sans difficulté, et alors le capitaine Truck donna à contre-cœur l’ordre d’amener le foc d’artimon, de mettre la barre tout au vent, et de faciliter le virement en brassant les vergues. C’est en tout temps un changement critique, comme nous l’avons déjà dit, car le bâtiment est exposé aux chocs des lames, qui acquièrent une grande force par l’inertie du bâtiment. Pour exécuter cette manœuvre, le capitaine Truck monta quelques enfléchures dans les haubans de misaine, car il était trop bon marin pour offrir au vent la moindre prise, ne fût-ce que son corps, sur les haubans de l’arrière. De là, les yeux tirés du côté du vent, il attendit un moment ou la brise serait moins furieuse, et où ces fortes lames se succéderaient avec moins de rapidité. Dès que cet instant fut arrivé, il fit un signe de la main, et la barre, qui était dessous, fut mise sur-le-champ toute au vent.

C’est toujours un moment inquiétant sur un bâtiment, car on ne peut prévoir ce qui s’ensuivra. C’est comme une bordée tirée par un navire ennemi. Une douzaine d’hommes peuvent être enlevés en un instant, et le bâtiment lui-même être jeté sur le côté. John Effingham et Paul Blunt, les seuls passagers qui fussent sur le pont, sentaient le danger, et ils épiaient le moindre changement avec l’intérêt d’hommes qui avaient tant à perdre. D’abord le mouvement du paquebot fut lent, et ne répondit pas à l’impatience de l’équipage. Ensuite son tangage cessa, et il tomba lourdement dans le creux formé par deux lames, comme s’il n’eût jamais dû en sortir. Sa chute fut telle, que sa misaine battit avec une force qui ébranla tout le bâtiment de l’avant à l’arrière. En se relevant sur la lame suivante, celle-ci glissa heureusement sous le bâtiment, dont la mâture élevée s’inclina fortement au vent. Quand il reprit son équilibre, le Montauk