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c’était peut-être une raison pour que chacun d’eux eût évité d’en parler, car c’était un sujet délicat, et qu’ils désiraient également oublier dans leurs moments plus calmes. Leur entretien prit alors un caractère plus général, et pendant plusieurs heures de la journée, tandis que le mauvais temps retenait sur le pont les autres passagers, ils restèrent ensemble, jetant ce qu’il était peut-être déjà trop tard pour appeler les bases d’une solide et sincère amitié. — Jusqu’alors Paul Blunt avait regardé John Effingham avec une sorte de crainte et de méfiance, mais il le trouva si différent de ce qu’on en disait, et de ce que sa propre imagination se l’était figuré, que la réaction qui s’opéra dans ses sentiments servit à les rendre plus vifs et à augmenter son respect. — D’une autre part, le jeune homme montra tant de modestie et de bon sens, tant de connaissances fort au-dessus de ce qu’on devait attendre de son âge, tant d’intégrité et de justice dans tous ses sentiments, que lorsqu’ils se séparèrent, le vieux garçon regrettait que la nature ne l’eût pas rendu père d’un tel fils.

Pendant tout ce temps, l’oisiveté n’avait pas régné sur le pont. Le vent avait toujours augmenté, et quand le soleil se coucha, le capitaine Truck déclara dans la grande chambre que c’était « un ouragan de construction régulière. » Voile sur voile avait été carguée ou serrée, et enfin le Montauk ne portait plus que la misaine, le grand hunier aux bas ris, le petit foc, et le foc d’artimon ; encore doutait-on s’il ne faudrait pas bientôt serrer le hunier, et prendre un ris à la misaine.

Le cap était au sud-sud-ouest ; le bâtiment avait une forte dérive, et à peine conservait-il assez de vitesse pour qu’on pût gouverner. L’Écume avait gagné plusieurs milles pendant le temps qu’elle avait pu porter ses voiles, mais elle avait été obligée de les diminuer aussi quand la force du vent et de la mer avait forcé M. Truck à amarrer sa roue. Cet état de choses opéra de nouveau un changement considérable dans leur position relative. Le lendemain on ne voyait que le haut des mâts de la corvette, du côté du vent du paquebot. Sa construction fine et la qualité qu’elle avait de mieux de tenir le vent lui avaient donné cet avantage, comme cela convenait à un bâtiment destiné à la guerre et à la chasse.

Le capitaine Truck ne fit pourtant qu’en rire. On ne pouvait en venir à l’abordage par un temps semblable, et peu lui importait où était le croiseur, pourvu qu’il eût le temps de lui échapper quand l’ouragan cesserait. Au total, il était plus charmé que fâché de la situation présente des choses, car elle lui offrait une chance de