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lier, ne pouvaient manquer de faire tourner tous les autres du même côté, et au bout de quelques instants tous ceux qui l’entouraient avaient la tête levée pour regarder, ils n’auraient su dire quoi.

— Faites monter sur le pont le quart qui vient d’être relevé, monsieur Leach, dit enfin M. Truck ; et Ève remarqua qu’il jeta son cigare, quoiqu’il ne fît que de commencer de fumer ; signe certain, à ce qu’elle pensa, qu’il se préparait à donner des ordres.

Tout l’équipage fut bientôt réuni, et l’on fit un effort pour mettre le cap au sud. Le calme effrayant de atmosphère rendait cette manœuvre difficile ; on y réussit pourtant, en profitant de quelques souffles de vent passagers, qui ressemblaient à des soupirs de l’air. Le capitaine fit ensuite monter du monde sur les vergues, pour serrer toutes les voiles, à exception des trois huniers et de la misaine ; la plupart ayant seulement été carguées pour attendre le résultat. Tous ceux qui n’avaient jamais été sur mer virent dans ces dispositions la preuve que le capitaine Truck s’attendait à un changement de temps soudain et sérieux. Cependant, comme il ne montrait aucune inquiétude, ils espérèrent qu’il ne faisait que prendre des mesures de prudence. M. Effingham ne put s’empêcher de lui demander s’il existait quelques motifs pressants pour les préparatifs qu’on faisait avec tant d’activité, quoique dans le plus grand ordre.

— Ce n’est pas une affaire de rhumatisme, répondit le facétieux capitaine. Regardez là, Monsieur, et vous aussi, ma chère miss Effingham. — C’était une sorte de familiarité paternelle que l’honnête capitaine se permettait avec toutes les jeunes personnes non mariées qui se trouvaient sur son bord, tant en vertu de son rang, que parce qu’il était un vieux garçon, touchant à la soixantaine. — Regardez aussi, Mamselle, car je suppose que vous pouvez comprendre les nuages, quoique ceux-ci ne viennent pas de France. Ne voyez-vous pas de quelle manière ces coquins de moricauds se rapprochent ? Ils sont à comploter quelque chose, je vous en réponds.

— Il est certain que ces nuages roulent l’un sur l’autre et s’entrechoquent, dit EÈve qui avait été frappée de la beauté étrange de leurs évolutions, et ils présentent un tableau aussi noble qu’effrayant ; mais si leur vol aérien cache quelque présage secret, j’avoue que je n’y comprends rien.

— Vous n’avez pas de rhumatisme, miss Effingham, dit le capitaine d’un ton badin ; vous êtes trop jeune, trop jolie, et j’ose dire trop moderne, pour avoir une maladie du vieux temps. Mais s’il est une catégorie infaillible, c’est que rien dans la nature ne conspire sans objet.