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que je suis née femme faite, comme mon illustre aïeule dont je porte le nom, la mère d’Abel. Si un congrès de nations, servant de maîtres, peuvent rendre indépendant des préjugés, je puis avoir des prétentions à posséder cet avantage ; ma plus grande crainte, c’est qu’en acquérant de la libéralité je n’aie pas acquis autre chose.

M. Effingham jeta sur sa fille un regard fortement empreint d’affection et d’orgueil, et ses yeux lui dirent, sans avoir besoin de l’aide de sa langue : C’est une crainte, chère enfant, que nul autre que toi ne partagerait.

— Un congrès de nations, vraiment ! murmura une autre voix d’homme près du père et de la fille ; vous avez appris la musique de sept maîtres d’autant de pays différents : la guitare d’un Espagnol, le grec d’un Allemand, les langues vivantes des puissances européennes, la philosophie en voyant le monde, et à présent, avec un cerveau plein de science, des doigts pleins de touches, des yeux pleins de teintes et une personne pleine de grâces, voilà que votre père vous reconduit en Amérique pour exhaler en pure perte votre douce odeur dans l’air du désert.

— Vos expressions sont poétiques, si elles ne sont pas justes, cousin John, répliqua Ève en souriant ; mais vous avez oublié d’ajouter un cœur plein d’affection pour son pays natal.

— C’est ce que nous verrons à la fin.

— À la fin comme au commencement, maintenant et toujours.

— Tout amour est éternel, quand il commence.

— Ne croyez-vous donc pas à la constance d’une femme ? pensez-vous vous qu’une fille de vingt ans puisse oublier le lieu de sa naissance, — le pays de ses ancêtres, — ou, comme vous l’appelez vous-même quand vous êtes de bonne humeur, le sol de la liberté ?

— Vous aurez un joli échantillon de cette liberté, répondit le cousin d’un ton de sarrasine. Après avoir passé votre jeunesse dans la contrainte salutaire de la société raisonnable d’Europe, vous allez rentrer dans votre pays pour être soumise à l’esclavage de la vie d’une femme en Amérique, justement à l’instant d’être mariée !

— Mariée, monsieur Effingham ?

— Je suppose que cette catastrophe arrivera tôt ou tard, et il est plus probable qu’elle arrive à une fille de vingt ans qu’à une de dix.

— John Effingham n’a jamais manqué de trouver un fait pour faire valoir un argument, ma chère, dit le père pour terminer cette courte discussion. Mais voici les embarcations qui arrivent ; retirons-nous un peu, et examinons les individus avec qui nous aurons à vivre en bon accord pendant un mois.