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— Avez-vous fait le tour du globe ?

Le capitaine Poke fit claquer ses doigts comme par dérision de la simplicité d’une telle question.

— La lune a-t-elle jamais fait voile autour de la terre ? Un moment, commodore, regardez ceci ! — Il prit une pomme dans sa poche, — il en avait déjà mangé une demi-douzaine depuis que nous étions en marche, — et me la montrant : Tirez vos lignes tout comme il vous plaira sur cette sphère, ajouta-t-il, en long ou en travers, de haut en bas ou de bas en haut, en zigzag ou perpendiculairement, vous ne pourrez pas en tracer plus que je n’en ai suivi sur notre vieille boule.

— Par terre comme par mer ?

— Quant à la terre, j’en ai aussi eu ma part ; car ma mauvaise fortune m’a forcé à y marcher, quand j’aurais pu dormir plus tranquillement sur un lit plus doux ; c’est justement la difficulté dans laquelle je me trouve à présent ; car me voilà à courir des bordées au milieu de ces Français, en tâchant de me remettre à flot comme un alligator enfoncé dans la boue. J’ai perdu mon schooner sur la côte nord-est de la Russie. — À peu près en cet endroit, ajouta-t-il en me montrant un point sur la pomme. Nous y faisions le commerce de pelleteries : ne trouvant pas de moyens pour retourner dans mon pays par la même route que j’en étais venu, et flairant l’eau salée de ce côté, je me suis dirigé à l’ouest pendant dix-huit mois, en ligne aussi droite que possible, à travers l’Asie et l’Europe, et me voici enfin à deux journées du Havre, et à dix-huit ou vingt de chez moi, si je puis avoir encore une fois sous mes pieds de bonnes planches yankees.

— Vous me permettrez donc de nommer les planches yankees ?

— Nommez-les comme il vous plaira, commodore ; quant à moi, je préférerais les appeler Derby et Dolly de Stonington, car c’était le nom du schooner que j’ai perdu ; mais le plus fort de nous est bien frêle, et l’homme qui à la plus longue haleine n’est pas un dauphin pour pouvoir nager la tête sous l’eau.

— Permettez-moi de vous demander, monsieur Poke, où vous avez appris à parler l’anglais avec tant de pureté et d’élégance ?

— À Stonington : je n’ai pas eu une bouchée d’instruction ailleurs ; tout ce que je sais est du vin du crû : je ne me vante pas d’être savant ; mais quant à la navigation, quant à trouver mon chemin tout autour de la terre, je ne tournerai le dos à personne,