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— Je n’ai pas l’oreille assez exercée pour distinguer des bêtises par le moyen seul du son ; mais il paraît, Monsieur, que vous ne parlez qu’anglais.

— C’est ce qui vous trompe, car, étant grand voyageur, il m’a fallu regarder autour de moi, et, par suite naturelle, je parle un peu toutes les langues ; je ne prétends pas dire que je les parle toujours fondamentalement ; mais je suis en état de tourner une idée de manière à la rendre intelligible, surtout en ce qui concerne le boire et le manger. Quant au français, par exemple, je puis dire « do nais me de la vin et do nais me de la pain, » aussi bien que le plus dégoisé d’entre eux ; mais quand il y a une douzaine de gueules qui hurlent en même temps, comme ici, autant vaudrait monter sur le haut de la montagne des Singes, et entrer en conversation avec les gens qu’on y rencontrerait, que de prétendre avoir une confabulation raisonnable avec ceux-ci. Quant à moi, quand il doit y avoir une conversation, j’aime que chacun ait son tour, et qu’on garde la parole par quart, comme nous le disons à bord. Mais pour ces Français, on dirait que leurs idées ont été mises en cage, et que, la porte en ayant été ouverte, elles prennent leur vol toutes en même temps, uniquement pour le plaisir de dire qu’elles sont en liberté.

Je m’aperçus alors que mon compagnon était un être réfléchi, car ses raisonnements formaient une chaîne régulière, et sa philosophie n’était pas instinctive comme celle des braves gens qui étaient à crier de toute la force de leurs poumons dans tous les coins de la guinguette. Je lui proposai d’en sortir pour que nous pussions nous entretenir plus librement, et par conséquent d’une manière plus satisfaisante ; il accepta ma proposition, et, laissant tous ces braillards, nous suivîmes le boulevard extérieur pour nous rendre, par les Champs-Élysées, à l’hôtel où je logeais, rue de Rivoli.