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Anna ne m’avait jamais paru si belle, si aimable, si élevée au-dessus de la condition d’une mortelle, que lorsque je la revis chez son père quelques jours après mon départ d’House-Holder.

— Vous avez l’air de redevenir vous-même, me dit-elle en m’offrant la main avec cette franche cordialité d’une Anglaise ; j’espère que nous vous trouverons plus raisonnable.

— Ah ! Anna, si je pouvais seulement avoir assez de présomption pour me jeter à vos pieds, et vous dire tout ce que je sens, je serais l’homme le plus heureux de toute l’Angleterre.

— Et comme vous êtes, vous en êtes le plus malheureux, dit-elle en souriant. Je fus assez fou pour lui prendre la main et la serrer contre mon cœur : elle la retira en rougissant jusqu’au front. — Allons déjeuner, ajouta-t-elle ; mon père est déjà parti pour aller rendre visite au docteur Lithurgy.

— Anna, lui dis-je après m’être assis, et recevant une tasse de thé de ses doigts qu’on pouvait appeler de roses aussi bien que ceux de l’Aurore, — je crains que vous ne soyez la plus grande ennemie que j’aie sur la terre.

— Que voulez-vous dire, John ? s’écria-t-elle en tressaillant : expliquez-vous, je vous prie.

— Je vous aime au fond du cœur ; — je pourrais vous épouser, et alors vous adorer, je crois, comme jamais homme n’a adoré une femme.

— Et vous seriez en danger de commettre le péché d’idolâtrie.

— Non, mais je courrais celui de ne plus être susceptible que d’un seul sentiment ; — de perdre de vue le grand but de la vie ; — d’oublier les garanties que je dois à la société ; — en un mot, de devenir aussi inutile à mes semblables que mon pauvre père, et de faire une fin aussi misérable. Oh ! Anna, si vous aviez pu voir la scène que m’offrit son lit de mort, vous ne pourriez me souhaiter un destin semblable au sien.

Ma plume est incapable de rendre l’expression du regard qu’elle jeta sur moi. L’étonnement, le doute, la crainte, l’affection et le chagrin, brillaient en même temps dans ses yeux. Mais l’ardeur de ces sentiments mélangés était tempérée par une douceur qui ressemblait à la sérénité du ciel d’Italie.

— Si je cédais à ma tendresse, Anna, en quoi ma situation différerait-elle de celle de mon malheureux père ? Il avait concentré tous ses sentiments dans l’amour de l’argent ; et moi, —