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— vint à traverser un bourg dont la loyauté était bien connue, la veille d’une élection contestée. Cet appel à l’intelligence et au patriotisme des électeurs de ce bourg avait lieu parce qu’un de ses représentants avait accepté une place dans le gouvernement[1]. Le nouveau ministre, — car il était membre du cabinet, — avait fini sa ronde pour solliciter les suffrages, et il allait haranguer les habitants, d’une fenêtre de la taverne où il logeait. Harassé de fatigue d’esprit et prêt à chercher un soulagement mental par quelques moyens que ce fût, je quittai la diligence, et, m’assurant d’une chambre dans la même taverne, je devins un de ses auditeurs.

Le candidat favori occupait un grand balcon, entouré de ses principaux amis, parmi lesquels c’était un plaisir de voir des comtes, des lords, des baronnets, des dignitaires de l’Église, des marchands chauds ayant de l’influence dans le bourg, et même un ou deux ouvriers, tous serrés les uns contre les autres, et formant un agréable amalgame d’affinité politique. Voici, pensai-je, voici un exemple d’union céleste ! Le candidat, quoique fils et héritier d’un pair du royaume, sent qu’il est de même chair et de même sang que ses constituants. — Quel sourire aimable ! — Quelles manières prévenantes ! — Quelle cordialité dans la manière dont il serre la main la plus dure et la plus sale ! il doit se trouver un frein à l’orgueil humain, un aiguillon à la charité, une leçon perpétuelle de bienveillance, dans cette partie de l’excellent système de notre constitution ; et je l’étudierai de plus près. Le candidat parut et commença sa harangue.

La mémoire me manquerait si j’essayais de rapporter les termes précis de l’orateur ; mais ses opinions et ses préceptes se gravèrent si profondément dans mon esprit, que je n’ai pas à craindre de les présenter sous un faux jour. Il commença par un éloge très-convenable et très-éloquent de la constitution, qu’il déclara intrépidement la perfection même de la raison humaine ; et comme preuve il cita le fait bien connu que, pendant les vicissitudes de tant de siècles, elle s’était toujours prêtée aux circonstances, en abhorrant le changement. « Oui, mes amis, » continua-t-il dans un élan de ferveur patriotique et constitutionnelle ; « sous les roses et sous les lis ; sous les Tudor, les Stuarts, et l’illustre maison

  1. En Angleterre, comme en France, le membre de la chambre qui accepte un emploi quelconque du gouvernement, perd la place qu’il y occupe ; mais il peut ensuite y être appelé de nouveau par les suffrages d’une assemblée électorale.