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timent vif et profond qui rendait Anna un ange à mes yeux ; et dans le fait, elle l’était à peu près pour tous ceux qui la connaissaient. C’était l’étoile polaire vers laquelle tous mes désirs se dirigeaient. Avec quel plaisir j’aurais payé en ce moment un demi-million pour descendre d’un baronnet du dix-septième siècle !

l’avais pourtant une autre cause, une cause présente, de perplexité, qui me tourmentait même encore plus que le fait que ma famille remontait au temps de son obscurité avec une facilité si embarrassante. En voyant mourir mon père, j’avais reçu une terrible leçon sur la vanité, les dangers, les illusions des richesses, et sur le peu d’espoir de bonheur qu’elles offrent, et le temps ne pouvait en effacer l’impression. La manière dont celles dont je jouissais avaient été accumulées était toujours présente à mon esprit et corrompait le plaisir que j’aurais pu trouver à en être en possession ; je ne veux pas dire que je soupçonnais mon père de les avoir acquises par des voies appelées malhonnêtes d’après les conventions humaines : il n’avait pas en besoin d’y avoir recours ; j’entends seulement que la vie isolée qu’il menait, le mauvais emploi qu’il faisait de ses facultés, son manque de sensibilité, et son habitude de méfiance, étaient des maux pour lesquels il avait trouvé une bien pauvre compensation dans la possession de ses millions ; j’aurais donné la moitié de ma fortune pour savoir comment employer l’autre de manière à éviter les rescifs de Scylla et les écueils de Charybde, c’est-à-dire la profusion et l’avarice.

Lorsque je sortis des rues enfumées de Londres, et que je traversai des champs couverts de verdure et bordés de haies ornées de fleurs, la terre que nous habitons me parut admirable ; j’y reconnus l’ouvrage d’un créateur aussi puissant que bienfaisant, et il ne me fut pas difficile de me persuader que celui qui vivait au milieu de la confusion d’une ville se méprenait sur le but de son existence. Mon pauvre père, qui n’avait jamais quitté Londres, se présenta à mon imagination avec tous les regrets qu’il avait montrés sur son lit de mort, et la première résolution que je pris fut de vivre dans la société de mes semblables. Mon impatience d’exécuter ce projet devint si vive, qu’elle aurait pu me conduire à la frénésie, s’il ne fût arrivé une circonstance heureuse qui me préserva de cette calamité.

La diligence dans laquelle j’étais, — car j’avais évité à dessein l’étalage et l’embarras d’une chaise de poste et de domestiques,