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paraison était généralement fort en sa faveur. Ce fut aussi vers ce temps que mon admiration devenant plus vive et plus manifeste, Anna devint de son côté moins confiante et moins franche. Je n’aperçus en outre, et c’était une nouveauté, qu’elle était plus souvent avec sa gouvernante, et plus rarement avec moi. Dans une occasion, je ne fus pas peu piqué de l’entendre faire à son père le récit d’une fête donnée par un gentilhomme du voisinage pour célébrer l’anniversaire de la naissance de son fils, fête à laquelle elle avait été invitée, sans qu’elle m’adressât un seul mot en peignant le plaisir qu’elle y avait goûté. Mais je me trouvai bien dédommagé, quand elle me dit avec un ton d’affection, en terminant sa relation enjouée :

— Vous auriez ri de bon cœur, John, si vous aviez vu la drôle de manière dont les domestiques jouent leurs rôles, — c’était une espèce de mascarade, — particulièrement le vieux gros sommelier, dont on avait fait un Cupidon, afin de prouver, comme le dit Dick Griffin, que l’amour devient lourd et languissant quand il est trop bien nourri ; je voudrais que vous eussiez pu y être, John.

Anna joignait à toute la douceur de son sexe la physionomie la plus aimable et la plus prévenante, et j’aimais à l’entendre prononcer ce mot — John. — Le son de sa voix était si différent du cri pétulant des enfants d’Eton, et de l’accent hautain de mes joyeux compagnons d’Oxford !

— Je l’aurais voulu aussi, Anna, répondis-je, et surtout parce que vous semblez vous y être amusée.

— Oui ; mais cela ne pouvait être, dit la gouvernante, miss-mistress Norton[1], car sir Harry Griffin est très-difficile sur le choix de sa compagnie, et vous savez, ma chère, que M. Goldencalf, quoiqu’il soit un jeune homme très-respectable, ne pouvait s’attendre qu’un baronnet d’une des plus anciennes familles du comté invitât le fils d’un agioteur à une fête donnée en l’honneur de son unique héritier.

Heureusement pour miss-mistress Norton, le docteur Etherington était sorti à l’instant où sa fille avait achevé son récit, sans quoi la gouvernante aurait pu entendre un commentaire désagréable sur ses idées relativement aux convenances sociales. Anna elle-même la regarda avec surprise et je vis ses joues se

  1. Quand les demoiselles anglaises ont atteint un certain âge sans avoir trouvé à se marier, il arrive souvent qu’elles prennent le titre de mistress.