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déjà disparu dans les ténèbres, il était de nouveau incertain sur la véritable position de la barque ; ses yeux et ses oreilles s’ouvraient en vain pour voir et pour entendre ; il n’apercevait que cette lueur mystérieuse qui était venue avec l’ouragan, et n’entendait que le sifflement des vents et le mugissement des vagues. Les bouffées descendaient par moments sur la surface du lac ou tourbillonnaient dans les airs. Pendant un instant, un seul instant de ce désespoir auquel peuvent se livrer les âmes les plus fortes, sa main s’ouvrit pour lâcher son fardeau, et il conçut la pensée de redoubler d’efforts pour sauver sa propre vie ; mais si belle et si chaste de cette jeune fille, qui depuis si longtemps charmait ses veilles et embellissait ses rêves, vint interposer son autorité et le faire rougir de sa pensée. Après ce court moment de faiblesse, il se sentit soutenu par une nouvelle énergie ; il nagea avec plus de vigueur, et en apparence avec plus d’utilité qu’auparavant. Bientôt il entendit de nouveau ces mots : Neptune, mon brave Neptune… Mais ils apportèrent la terrible conviction que, détourné de sa course par l’agitation de l’eau, il avait épuisé ses efforts à s’éloigner de la barque. Tandis qu’une lueur de succès lui avait été laissée, aucune difficulté, quelle que fût son immensité, ne pouvait entièrement anéantir l’espérance ; mais, lorsque Sigismond eut la conviction qu’au lieu de diminuer le danger il l’avait augmenté, il renonça à de nouveaux efforts, et se borna à soutenir sa tête et celle de son compagnon au-dessus du perfide élément, tandis qu’il répondait d’une voix désespérée aux cris de Maso.

— Neptune, brave Neptune ! Ces mots se firent encore entendre.

Ce cri pouvait être une réponse comme ce pouvait être un encouragement du seigneur italien à l’animal qui le portait. Sigismond fit encore un cri, mais il sentit que c’était le dernier. Il se débattit un instant, ce fut en vain ; il ne conservait plus qu’une idée indistincte de la vie ; le monde et ses attraits s’effaçaient de ses pensées, lorsqu’une ligne sombre passa au-dessus de lui et tomba lourdement sur la vague qui venait de couvrir son visage ; par un mouvement instinctif il posa la main sur cette ligne, et il se trouva de nouveau soutenu au-dessus des eaux. Il avait saisi la corde que le marin n’avait cessé de jeter comme le pêcheur jette sa ligne, et il était près de la barque avant que ses facultés confuses lui eussent permis de comprendre les moyens de sa délivrance. Maso tira a lui en reculant ; et, favorisé par un