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l’instant où les vents se déchaînèrent ; car ce qui a exigé une aussi longue description se passa en une minute.

Maso s’agenouilla sur le bord de la barque, se soutenant par son bras passé autour d’un des haubans ; et, s’avançant, il regarda cette fournaise ardente d’un œil dévoré d’inquiétude. Une ou deux fois il crut entendre la respiration difficile d’un homme qui lutte contre les vagues ; mais, au milieu du bruit de la tempête, il était aisé d’être trompé. Il encouragea néanmoins son chien de la voix ; et, saisissant une corde, il fit un nœud pesant à l’un des bouts. Il la jeta loin de lui avec adresse, la retira, et recommença cette expérience plusieurs fois. Cette corde était nécessairement jetée au hasard, car la lueur obscure gênait plutôt qu’elle n’aidait la vue, et les puissances de l’air remplissaient ses oreilles d’un bruit qui ressemblait au rire des démons.

Dans les exercices de la jeunesse, les deux vieux seigneurs n’avaient point oublié l’art de résister aux vagues ; mais tous les deux aussi possédaient un avantage bien préférable encore dans une semblable occasion : le sang-froid que peuvent ordinairement acquérir ceux qui passent leur vie dans les hasards et les difficultés de la guerre. Chacun d’eux eut assez de présence d’esprit, en revenant à la surface, pour comprendre sa situation, et ne pas augmenter le danger par ces efforts violents qui épuisent ordinairement ceux qui sont effrayés. Le moment était assez désespéré sans y joindre le risque de la distraction ; car la barque avait déjà atteint quelque point inconnu qui, relativement à eux, était tout à fait invisible. Dans cette incertitude, il aurait été inutile de nager plutôt d’un côté que d’un autre, et ils bornèrent leurs efforts à s’encourager mutuellement et à placer leur confiance en Dieu.

Il n’en était pas ainsi de Sigismond. Pour lui la tempête était muette, le lac n’était point courroucé, et il s’était précipité dans son sein avec aussi peu de crainte que s’il se fût élancé sur la terre. Ce cri : Sigismond ! oh ! Sigismond ! proféré par Adelheid, était encore dans son oreille et faisait bondir son cœur. L’athlétique jeune Suisse était un nageur expérimenté ; sans cela il eût été peu probable que ces impulsions, bien que profondes, l’eussent emporté sur l’amour de sa conservation. Dans une eau tranquille, il lui eût été aisé de traverser la distance qui se trouvait entre le Winkelried et le pays de Vaud ; mais, ainsi que ses compagnons, en se jetant dans l’eau, il fut obligé d’abandonner sa