Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devenu. Mais celle qui lui avait promis sa foi sur les bords de l’Elbe, regarda longtemps la pâle étoile, et pleura amèrement de ce que sa constance ne rencontrait pas de retour. Ses affections survécurent de beaucoup à leur objet, car l’image de celui qu’elle aimait était profondément gravée dans son cœur. Les jours, les semaines, les mois, les années s’écoulèrent pour elle dans les chagrins d’une espérance trompée ; mais le lac Léman ne trahit jamais son secret, et le seul homme auquel le malheur de son amant fût connu, pensa peu, s’il ne l’oublia pas tout à fait, à un incident qui ressemblait à tant d’autres dans sa carrière aventureuse.

Maso reparut au milieu de la foule avec le maintien composé d’un homme qui sait que l’autorité est d’autant plus utile qu’elle est calme. Il avait alors l’entier commandement du vaisseau. Baptiste, étourdi par cette crise extraordinaire, étouffé par la colère, était incapable de donner un ordre utile ou distinct. Il était heureux pour les passagers que le commandement eût passé en d’aussi bonnes mains, car le danger devenait de plus en plus alarmant.

Nous avons nécessairement mis beaucoup de temps à décrire ces événements, la plume ne pouvant égaler l’activité de la pensée. Vingt minutes ne s’étaient donc pas écoulées depuis que la tranquillité du lac s’était troublée, et les efforts des passagers du Winkelried avaient été si prompts, que ce temps avait encore paru moins long aux travailleurs. Mais les puissances de l’air n’avaient pas été oisives non plus ; l’ouverture qui se voyait auparavant dans les cieux avait disparu, et, à de courts intervalles, le bruit effrayant produit par le choc des escadrons aériens semblait approcher. À trois différentes reprises, des brises chaudes passèrent au-dessus de la barque ; et, aussitôt qu’elles se plongeaient dans cette onde plus agitée que de coutume, les visages des passagers se trouvaient rafraîchis comme par un immense éventail. C’était simplement le changement subit de l’atmosphère, dont les régions étaient déplacées par la lutte de l’air chaud du lac et de celui qui avait été congelé sur les glaciers, ou c’était le résultat plus simple de la violente agitation de la barque.

La profonde obscurité donnait au lit du lac l’apparence d’une sombre plaine liquide, et contribuait à la terrible solennité de la nuit. Les remparts de la Savoie étaient seuls visibles au milieu des nuages, offrant l’aspect d’une muraille noire qu’on pouvait,