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vent de ce côté du lac qui pourra effrayer les mouettes hors des montagnes. À la fin du mois, nous ne verrons plus de bateaux à vapeur.

L’Américain jeta un regard sur les montagnes ; rappela dans sa mémoire les tempêtes qu’il avait essuyées, et pensa que les paroles du batelier étaient moins extravagantes qu’il ne l’avait jugé d’abord.

— Si vos barques étaient mieux construites, observait-il tranquillement, vous auriez moins peur du mauvais temps.

M. Descloux n’avait point envie de se quereller avec une pratique qui l’employait tous les soirs, et qui aimait mieux voguer avec le courant que d’être conduite avec une rame crochue. Il manifesta sa prudence en faisant une réponse réservée.

— Il n’y a pas de doute, Monsieur, dit-il, que les peuples qui vivent sur la mer font de meilleurs vaisseaux, et savent les conduire plus habilement : nous en avons eu une preuve ici l’été dernier ; vous serez peut-être charmé de connaître cette histoire. Un Anglais, qu’on disait capitaine dans la marine, fit construire une barque à Nice, et on la traîna à travers nos montagnes jusque sur le lac. Il fit un tour dans sa barque jusqu’à Meillerie par une belle matinée, et un canard ne nagerait pas plus légèrement et plus vite ! Ce n’était point un homme à prendre conseil d’un batelier suisse, car il avait passé la ligne, et il avait vu des trombes et des baleines ! Bon ! Il revenait le soir dans l’obscurité, lorsque le vent vint à souffler des montagnes ; il se dirigea hardiment vers notre ville, jetant la sonde en s’approchant de la terre, comme il aurait pu le faire à Spithead par un brouillard, et il avança comme un brave marin qu’il était sans doute :

Jean Descloux frissonna à l’idée de sonder le Léman.

— Il aborda, je suppose, parmi les bagages de la grande place ?

— Monsieur se trompe. Il cassa le nez de son bateau contre cette muraille, et le lendemain on n’aurait pas pu en trouver un morceau assez grand pour faire une tabatière. Il eut aussi bien fait de sonder le ciel.

— Le lac a un fond néanmoins ?

— Je vous demande pardon, Monsieur, le lac n’a point de fond. La mer peut avoir un fond, mais nous n’en avons point ici.

Il était inutile de disputer sur ce point.

M. Descloux parla alors des révolutions qu’il avait vues. Il se rappela le temps où le pays de Vaud était une province de Berne.