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sont aussi endormis que l’équipage. — Vous êtes accoutumé à ces climats, pieux augustin : est-il ordinaire, dans cette arrière-saison, de voir un calme si profond sur le Léman ?

En faisant cette question, Maso était heureusement inspiré par le désir de changer de discours ; elle détournait tout naturellement l’attention d’un sujet assez peu intéressant par lui-même, et se reportait sur les différents phénomènes que leur offrait la nature : le soleil avait entièrement disparu, et l’on était sous le charme de ces moments enchanteurs qui précèdent la chute totale du jour. Un calme si profond reposait sur le lac limpide qu’on avait peine à distinguer les limites des deux éléments dans les endroits où la teinte bleuâtre de la terre se confondait avec la couleur bien connue qui est particulière au Léman.

Le Winkelried se trouvait précisément entre les côtes du canton de Vaud et celles de la Savoie, un peu plus près cependant des premières. Une seule voile était aperçue sur cette vaste étendue d’eau ; elle pendait négligemment sur la vergue d’une petite barque qui ramait vers Saint-Gingoulph ramenant de l’autre rive du lac des Savoyards qui retournaient chez eux. L’œil, abusé dans ce paysage trompeur, pouvait la croire à un jet de pierre de la base de la montagne, tandis qu’en effet elle était encore loin du rivage.

La nature a travaillé sur une échelle si magnifique dans ces régions élevées, que de semblables déceptions sont continuelles ; le temps et l’habitude sont nécessaires pour apprécier les distances qui seraient facilement jugées dans d’autres pays. Outre la barque qui s’avançait vers les rochers de la Savoie, une autre, d’une forme pesante, se trouvait presque dans la même ligne que Villeneuve ; elle semblait flotter dans les airs plutôt que dans son propre élément ; ses rames tombaient et s’élevaient sur une haute éminence dont les formes disparaissaient par la réfraction. Elle portait à leurs propriétaires, paisibles habitants des villages de la Suisse, le produit des prairies situées à l’embouchure du Rhône ; quelques légers esquifs ramaient aussi en face de la ville de Vévey et une forêt de mâts peu élevés, de vergues latines, aperçues dans les attitudes variées et pittoresques qui leur sont particulières, remplissait le mouillage qu’on nomme le port de Vévey.

Une ligne, tirée de Saint-Saphorin à Meillerie, aurait passé entre les esparres du Winkelried ; il était donc à un peu plus