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presque dans les courtes excursions qu’il faisait sur sa pile de bagages. Le marin était beaucoup plus jeune ; à peine avait-il atteint sa trentième année, et les cheveux de l’inconnu se couvraient déjà d’une teinte grisâtre ; l’allure, l’attitude et les gestes du premier exprimaient la confiance en soi-même, l’indifférence pour les opinions des autres, et plus de disposition à commander qu’à obéir : on pourrait penser que sa situation présente prêtait peu à la découverte de telles qualités ; mais elles perçaient dans les regards froids et scrutateurs qu’il jetait de temps en temps sur les manoœuvres ordonnées par Baptiste, dans l’ironique sourire que ces décisions amenaient sur ses lèvres, et plus encore dans les amères et laconiques remarques qui lui étaient échappées dans le cours de la journée, et qui exprimaient toute autre chose que des éloges pour le talent du patron et de son équipage d’eau douce. Il y avait aussi, dans ce personnage quelque peu suspect, des signes d’une meilleure nature que ceux qu’on observe d’ordinaire chez les gens dont les vêtements et la situation révèlent une lutte pénible avec la société, position qui était précisément celle du matelot pauvre et inconnu. Quoique assez mal vêtu et portant les marques d’une vie errante et de cette insouciance des liens sociaux, prise en général comme une preuve de peu de mérite, la faculté de penser se révélait parfois en lui, et, durant le jour, ses yeux s’étaient souvent tournés sur les personnes placées sur le pont, comme s’il prenait plus d’intérêt à leur conversation qu’aux plaisanteries grossières et aux farces joyeuses de ses voisins.

Les gens bien nés sont toujours polis lorsqu’ils ne sont pas forcés de repousser d’arrogantes prétentions : accoutumés aux priviléges de la naissance, ils y attachent moins d’importance que ceux qui, privés de ces avantages imaginaires, sont portés à s’exagérer une supériorité dont une courte expérience leur montrerait la douteuse valeur. Sans cet équitable arrangement de la Providence, les lois d’une société civilisée deviendraient intolérables si la paix de l’âme, la joie et ce qu’on appelle bonheur, étaient l’exclusif apanage de ceux qui sont riches et honorés, l’injustice serait si criante qu’elle ne résisterait pas longtemps aux attaques réunies de la raison et de l’équité. Mais les choses ne se passent pas ainsi, fort heureusement pour la tranquillité du monde et pour ceux que la fortune n’a pas favorisés de ses dons. La richesse a ses peines qui lui sont particulières ; les hon-