CHAPITRE V.
e déplacement du théâtre de Pippo avait laissé les passagers,
placés près de la poupe, paisibles possesseurs de cette partie du
bâtiment. Baptiste et ses bateliers dormaient encore au milieu
des malles ; Maso continuait à se promener sur sa plate-forme,
au-dessus de leurs têtes, et le pacifique étranger, dont l’embarquement
avait inspiré à Pippo tant de bons mots, était assis à
l’écart en silence, observant furtivement ce qui se passait, et ne
quittant pas la place qu’il avait occupée le reste de la journée. À
ces exceptions près, tous les autres voyageurs entouraient le
charlatan ; peut-être avons-nous eu tort de classer les deux voyageurs
dont nous venons de parler dans les rangs vulgaires, car il
se trouvait entre eux et leurs compagnons une différence assez
fortement prononcée. L’extérieur et les avantages personnels du
voyageur inconnu qui s’était soustrait si rapidement aux attaques
du Napolitain, le mettaient fort au-dessus des passagers qui
n’étaient pas dans les rangs de la noblesse, sans en excepter le
riche fermier Nicklaus ; sa contenance décente inspirait plus de
respect qu’il n’était ordinaire d’en accorder alors à un homme
obscur ; la sérénité de son visage annonçait l’habitude de réfléchir
sur ses impressions et de les maîtriser ; et sa constante déférence
envers les autres achevait de prévenir en sa faveur. Au
milieu du bruit et de la joie tumultueuse qui régnait autour de
lui, ses manières modestes et réservées avaient attiré l’attention
du baron et de ses amis ; ce contraste, si facile à remarquer, avait
dû amener une communication plus franche entre ces gentilshommes
et celui qui, sans être leur égal aux yeux du monde,
était fort supérieur à ceux au milieu desquels l’avaient jeté accidentellement les hasards du voyage. Les sensations de Maso
étaient différentes ; il se trouvait probablement peu d’affinité
entre lui et l’Être silencieux et concentré que ses pieds touchaient