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s’apercevoir que la partie la plus éclairée de son auditoire commençait à se fatiguer de sa prétendue gaieté. Employant alors un adroit subterfuge par le moyen d’un de ses tours de passe-passe, il parvint à transporter à l’autre bout du vaisseau les spectateurs que ses jongleries amusaient encore ; ils s’établirent au milieu des ancres, mieux disposés que jamais à jouir d’un plaisir dont le peuple est insatiable ; et il continua à développer ses idées dans ce langage bizarre, mais souvent pathétique, qui rend les baladins du midi si supérieurs à leurs rivaux du nord, débitant un mélange de vérités salutaires, de morale facile, et de satiriques remarques, qui ne manquaient jamais de faire rire aux éclats tous ceux qui n’en étaient pas les infortunés objets.

Une ou deux fois Baptiste leva la tête, et regarda autour de lui avec des yeux à demi éveillés ; et, sûr qu’il n’y avait rien à faire pour hâter la marche, il reprit son somme sans se mêler des amusements de ceux qu’il semblait avoir pris jusque-là plaisir à tourmenter. Ainsi livrée à elle-même, la foule rassemblée sur le gaillard d’avant présentait un de ces journaliers mais utiles tableaux de la vie, qui s’offrent sans cesse à nous, fertiles en instruction variée, et qui sont cependant traités avec l’indifférence qui semble l’inévitable conséquence de l’habitude.

Cette barque surchargée peut se comparer au vaisseau de la vie humaine, qui flotte toujours exposé aux innombrables accidents qui menacent une machine si délicate et si compliquée ; ce lac si paisible que son calme rend si attrayant, et qui peut d’une minute à l’autre frapper avec furie les rochers qui l’entourent, n’est-il pas l’image de ce monde trompeur, dont le sourire est presque aussi dangereux que le dédain ; et, pour compléter le tableau, ce groupe qui entoure le bouffon joyeux, insouciant, et qu’un mot suffirait pour enflammer, n’offre-t-il pas la peinture fidèle du mélange inexprimable de douces sympathies, de passions soudaines et profondes, de vice et de folie confondus d’une si inconcevable manière avec le bas égoïsme qui habite le cœur de l’homme ; en un mot, de tant de sentiments beaux et divins qui semblent émanés du ciel, et de tant d’autres qui paraissent venir d’une source bien différente, réunion qui compose cette existence mystérieuse et redoutable que la raison et la révélation nous enseignent être seulement une préparation à une autre existence plus incompréhensible et plus merveilleuse ?