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— Veux-tu que je te raconte les périls qui t’attendent, ami voyageur ? cria le jovial charlatan ; dans le calme où tu es, le récit des tempêtes futures t’amuserait peut-être ? Veux-tu qu’une peinture fidèle des monstres qui habitent ces cavernes de l’Océan où dorment tant de marins, te donne le cauchemar pendant des mois entiers, et te fasse rêver, le reste de ta vie, de naufrages et d’os blanchis ? Dis seulement que tu le désires, et les aventures de ton prochain voyage vont se dérouler à tes yeux.

— J’aurais meilleure opinion de ta science si tu pouvais me raconter le dernier.

— La demande est raisonnable, elle sera exaucée, car j’aime le courageux aventurier qui se confie aux vagues agitées, répondit l’audacieux Pippo ; j’ai reçu les premières notions de nécromancie sur le môle de Naples, au milieu de gros Anglais, de Grecs au nez aquilin, de Siciliens basanés et de Maltais dont l’esprit est aussi fin que l’or de leurs belles chaînes. C’est dans cette école que je me suis formé ; et j’ose dire que j’avais des dispositions à tout ce qui touche la philosophie et l’humanité. Signore, ta main ?

Sans quitter sa place, Maso étendit sa main nerveuse du côté du Napolitain, d’un air qui exprimait assez que sans vouloir contrarier les dispositions générales, il était bien supérieur à l’admiration et à la crédulité enfantine de la plupart de ceux qui attendaient le résultat de cet examen. Pippo affecta de se pencher pour mieux en étudier les lignes noires et profondes ; il reprit ensuite son discours, paraissant très-content de ses découvertes.

— Cette main vigoureuse a plus d’une fois serré celle d’un ami ; elle a souvent manié l’acier, les cordages et la poudre, et l’or plus souvent encore. Signori, c’est dans la main d’un homme que réside sa conscience ; si l’une s’ouvre facilement, l’autre ne sera jamais troublée. De tous les maux qui pèsent sur les mortels, aucun n’est comparable aux tourments d’une âme qui ne sait ni donner ni prendre. C’est en vain qu’un homme sera doué de l’habileté nécessaire pour devenir cardinal, s’il est retenu, lié par de gênants scrupules, nous le verrons frère quêteur à son dernier jour. Et si un prince est ainsi resserré dans des opinions semblables, mieux vaudrait pour lui être né un obscur mendiant ; car son règne pourra se comparer à un fleuve qui voit ses eaux sortir de son lit pour n’y jamais rentrer. Oui, mes amis, une main comme celle de Maso est un signe favorable, puisqu’il indique