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portaient jusqu’à croire que l’augure pourrait bien se réaliser.

— Si cette barque avait mis à la voile suivant nos conventions, dit-il avec une simplicité qui laissait voir toutes ses inquiétudes, on chargerait à présent les mulets que j’ai retenus à Villeneuve. Et s’il y a une justice dans le pays de Vaud, Baptiste sera responsable de toutes les pertes que sa négligence me causera.

— Le généreux Baptiste dort, fort heureusement, reprit Pippo ; sans cela le plan pourrait souffrir quelques objections. Mais, Signori, je vois que vous êtes satisfaits de cet aperçu du caractère de ce bon paysan, qui, pour dire la vérité, n’a pas grand’chose à nous cacher ; et je veux tourner un regard scrutateur dans l’âme de ce pieux pèlerin, le révérend Conrad, dont la contrition profonde suffirait pour expier les fautes de tous ceux qui sont ici.

— Tu portes avec toi, lui dit-il aussitôt, la pénitence et les prières de plusieurs pécheurs, et de plus, quelque marchandise du même genre pour ton propre compte.

— Je porte à Lorette les vœux et les prières de chrétiens qui sont trop occupés pour faire eux-mêmes le voyage, répondit le pèlerin qui ne mettait jamais tout à fait de côté le caractère de sa profession, quoiqu’il se souciât fort peu que son hypocrisie fût connue ; je suis pauvre, et humble en apparence, cependant j’ai vu plus d’un miracle dans ma vie.

— Si on t’a confié une offrande de quelque valeur, tu es un miracle vivant ! Je n’aurais jamais cru que tu portasses autre chose que des Ave.

— Je ne prétends pas à beaucoup plus ; les grands et les riches, qui envoient des vases d’or et de magnifiques parures à Notre-Dame, emploient leurs propres messagers ; je suis seulement l’envoyé et le remplaçant des pauvres pénitents ; mes souffrances leur appartiennent, ils recueillent le bénéfice de mes gémissements et de mes fatigues, et je ne prétends pas à un autre rôle qu’à celui de médiateur, comme ce marin l’a dit il y a peu de temps.

Pippo se retournant vivement, suivit la direction des yeux du pèlerin et rencontra le regard du Maledetto. Cet individu était le seul qui se tint éloigné de la foule qui entourait le jongleur. Soit paresse, soit manque de curiosité, il était resté tranquille sur la plate-forme qui se trouvait au sommet des bagages ; remarquable à la fois par sa position élevée et par son maintien toujours si calme, et qui avait de plus cette expression d’intelligence particulière au marin quand il est sur son élément.