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l’autre, cette jeune fille pourrait nous prendre pour de vrais fanfarons ; ce serait juste. As-tu conté à ta fille, Melchior, notre folle excursion dans la forêt des Apennins, pour chercher la dame espagnole dont les bandits s’étaient emparés ; entreprise qui nous fit mener pendant plusieurs semaines la vie de chevaliers errants, tandis que l’offre de quelques sequins faite à propos par le mari aurait rendu complètement inutile cette chevaleresque, pour ne pas dire ridicule, expédition.

— Dites chevaleresque, mais non ridicule, répondit Adelheid avec la simplicité d’un cœur jeune et sincère : j’ai entendu parler de cette aventure, elle ne m’a jamais paru risible. Un motif généreux pouvait excuser une tentative commencée sous des auspices aussi favorables.

— Ah ! il est fort heureux, reprit d’un air pensif le signor Grimaldi, lorsque la jeunesse et des opinions exagérées vous ont entraîné à des extravagances sous prétexte d’honneur et de générosité, qu’il se trouve toujours de jeunes et généreux esprits qui partagent vos sentiments et approuvent vos folies.

— Ceci est plus digne d’une prudente tête grise que du bouillant Grimaldi que j’ai connu jadis, s’écria le baron tout en riant comme s’il ressentait au moins une partie de l’indifférence de son ami pour des sentiments qui avaient exercé tant d’influence sur leurs premières années. J’ai vu le temps où les seuls mots politique et calcul t’auraient éloigné d’un ami.

— On dit que le prodigue de vingt ans devient avare à soixante-dix. Il est certain aussi que notre soleil même du midi ne peut réchauffer le sang glacé par l’âge. Mais il ne faut pas ternir ainsi l’avenir de ta fille par une peinture trop fidèle, laissons-lui ses illusions. Je me suis souvent demandé Melchior, quel était le don le plus précieux, d’une vive imagination ou d’une froide raison. Il me serait moins difficile de dire celui que j’aimerais mieux posséder ; chacun aurait à son tour la préférence, ou plutôt je les souhaiterais tous deux mais avec un changement graduel dans leur intensité. Le premier l’emporterait à l’aurore de la vie, et céderait à l’autre vers le soir, car celui qui débute comme un froid raisonneur, finit par devenir égoïste, et quand l’imagination est notre seul guide, l’esprit, échauffé par ses rayons, risque de prendre ses chimères pour des réalités. Si le ciel avait daigné me laisser le fils chéri qui m’a été si promptement ravi, j’aurais préféré qu’il jugeât les hommes trop favorablement au