Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Il est acquitté devant Dieu et devant les hommes ! dit le châtelain d’un air plus digne.

Marguerite fit signe à Balthazar de la précéder, et se disposa à quitter la chapelle. Sur le seuil, elle se détourna, et jeta un dernier regard sur Sigismond et sur Cbnistine ; elle les vit pleurant dans les bras l’un de l’autre, et elle éprouva une vive tentation d’aller mêler ses larmes aux larmes de ceux qu’elle aimait si tendrement ; mais, ferme dans ses résolutions, elle arrêta le torrent d’émotions dont rien n’eût égalé la violence si elle ne lui eût imposé des digues, et elle suivit son mari d’un œil sec. Ils descendirent la montagne avec un vide dans le cœur, qui apprit à ce couple persécuté que la nature avait des douleurs qui surpassent de beaucoup les chagrins que cause le monde.

Cette scène ne manqua pas d’émouvoir les spectateurs. Maso passa sa main sur ses yeux et parut touché d’une émotion plus forte qu’il ne lui semblait bon d’en montrer, tandis que Conrad et Pippo ne pouvaient retenir leurs larmes. Ce dernier montra une sensibilité qui n’était pas incompatible avec le manque de principes. Il demanda même à baiser la main de la mariée comme un des compagnons des dangers qu’elle avait courus. Toute la société se sépara alors dans une bonne harmonie, qui prouvait que, quelque pervertis que soient les hommes, Dieu leur a quelquefois accordé d’assez grandes qualités pour qu’on regrette l’abus, qu’ils font de ses dons. En quittant la chapelle, tous les voyageurs se préparèrent au départ. Le bailli et le châtelain descendirent vers le Rhône, aussi satisfaits d’eux-mêmes que s’ils eussent rempli leur devoir à l’égard de Maso, et discourant le long de la route sur les singulières chances du hasard qui avait amené devant eux un fils du doge de Gênes dans une si singulière situation. Les bons Augustins aidèrent les voyageurs à monter en selle, s’acquittant jusqu’au dernier moment de leurs devoirs d’hospitalité, et leur souhaitèrent une heureuse arrivée à Aoste.

Le passage du Saint-Bernard a déjà été décrit ; il s’étend sur les bords du petit lac, traverse l’emplacement de l’ancien temple de Jupiter, à environ cent mètres du couvent, rasant l’extrémité septentrionale du petit bassin, où il traverse les frontières du Piémont, coupe le roc, et, après avoir tourné en corniche pendant une faible distance au bord d’un affreux précipice, il se plonge tout d’un coup dans les plaines de l’Italie.