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qu’il avait toujours regardée comme la sienne se mêlait d’une manière effrayante au délire que lui causait le soulagement subit d’un poids qu’il avait trouvé si difficile à porter.

Marguerite ne comprit que trop bien cette dernière expression ; elle pencha la tête sur son sein, et se retira en silence pour pleurer parmi ses compagnes.

Pendant ce temps, une surprise tumultueuse avait pris possession des différents auditeurs ; elle était modifiée et exprimée suivant leurs caractères respectifs et l’intérêt qu’ils prenaient à la vérité ou au mensonge qui venait d’être annoncé. Le doge s’attachait à cette espérance, toute improbable qu’elle semblât, avec une ténacité proportionnée à l’agonie qu’il venait d’éprouver. Les regards de Sigismond se portaient de l’homme bienveillant, mais dégradé, qu’il avait jusqu’alors cru son père, sur les traits vénérables et imposants de celui qu’on lui présentait aussi sous ce caractère sacré. Les sanglots de Marguerite frappèrent son oreille et le rappelèrent à lui-même ; ceux de Christine s’y mêlèrent bientôt, comme si la mort lui eût enlevé un frère et un fils. Il distinguait aussi l’émotion d’une autre femme qui avait encore des droits plus chers sur son cœur.

— Cela est si surprenant, dit le doge, tremblant que de nouvelles paroles ne vinssent détruire cette heureuse illusion ; cela est si improbable, que, quoique mon âme s’attache à cette croyance, ma raison s’y refuse malgré moi. Ce n’est point assez que de faire une semblable révélation, Balthazar, il faut la prouver : fournis-moi la moitié des preuves qui sont nécessaires pour établir un fait légal, et je te rendrai l’homme le plus riche de ton état. Et toi, Sigismond, viens sur mon cœur, ajouta-t-il en ouvrant les bras ; que je te bénisse tandis que j’espère encore ; que je sente battre le cœur d’un fils ; que je goûte un instant la joie d’un père !

Sigismond s’agenouilla devant le vénérable prince, qui appuya sa tête sur son épaule, et leurs larmes se mêlèrent ; mais dans ce moment d’extase, ils étaient tourmentés l’un et l’autre par un sentiment de crainte, comme si ce bonheur était trop grand pour pouvoir durer. Maso regardait cette scène avec un froid mécontentement ; son visage exprimait une sorte de doute, quoique le pouvoir de la nature fût assez fort pour tirer des larmes des yeux de tous les autres assistants.

— Que Dieu te bénisse, mon enfant, mon fils bien-aimé, mur-