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d’événements que le temps tire de son sein ! Sommes-nous orgueilleux, la fortune se venge de nous par ses mépris. Sommes-nous heureux, ce n’est que le calme qui précède l’orage. Sommes-nous grands, cela nous conduit à des abus qui justifient notre chute. Sommes-nous honorés, des taches viennent ternir notre renommée en dépit de nos soins !

— Celui qui met sa confiance dans le fils de Marie ne doit jamais se désespérer ! murmura le digne quêteur, touché jusqu’aux larmes du malheur subit d’un homme respectable ; que la fortune du monde passe ou change, son amour survivra à tous les temps !

Le signor Grimaldi, car tel était en effet le nom de famille du doge, tourna un instant ses regards sur le moine, mais il les reporta promptement sur Maso et Sigismond, car ce dernier, touché de son état, s’était approché de lui, et se livra de nouveau à la tristesse de ses pensées.

— Oui, dit-il, il existe un être tout-puissant, un être grand et bienfaisant, qui égalise ici-bas nos fortunes, et lorsque nous passerons dans un autre monde, chargés des fautes de celui-ci, on nous rendra justice selon nos œuvres. Dis-moi, Melchior, toi qui me connus dans ma première jeunesse, qui lus dans mon cœur lorsque je n’avais rien de caché, méritais-je un semblable châtiment ? Voici Balthazar issu d’une race de bourreaux, un homme, que le monde exile de son sein, que les préjugés accablent de haine, qu’on montre au doigt ; Balthazar est le père de ce brave jeune homme, dont les formes sont si parfaites, dont l’esprit est si noble, dont la vie est si pure ; tandis que moi, le dernier d’une race dont l’origine se perd dans l’obscurité des temps, le plus riche de mon pays, l’élu de mes pairs, je me trouve avoir un proscrit, un brigand, un assassin pour rejeton de ma maison prête à s’éteindre. — Il Maledetto est mon fils.

Un mouvement de surprise se manifesta dans l’assemblée : le baron de Willading lui-même n’avait pas soupçonné la cause réelle du désespoir de son ami. Maso seul ne fut point ému, car tandis que le vieux père trahissait sa douleur, le fils ne laissait voir aucune de ces sympathies dont, malgré sa vie coupable, la nature aurait pu placer un reste dans son cœur. Il était froid, observait tout, maître de ses plus simples actions.

— Je ne puis pas le croire, s’écria le doge, dont l’âme se révolta de cette insensibilité, plus encore que de la honte d’être le père d’un tel fils. Tu n’es pas ce que tu prétends être ; tu mens, tu te