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tion. Mais nous ne parlerons pas davantage de cette affaire du lac. Ce châtelain expérimenté n’a pas besoin qu’on lui dise que je ne pouvais pas sauver votre vie sans sauver la mienne ; et, à moins que je ne me méprenne sur l’expression de ses yeux, il est sur le point de dire que la nature nous a faits comme cette contrée sauvage, contrée où des champs fertiles sont mêlés à de stériles rochers ; et que celui qui fait une bonne action aujourd’hui peut s’oublier, et en faire une mauvaise demain.

— Tous ceux qui t’entendent ont le droit de s’affliger de te voir poursuivre une carrière si peu honorable, répondit le juge. Un homme qui peut raisonner si bien, et dont l’esprit est si pénétrant, pèche plutôt par calcul que par ignorance.

— Vous êtes injuste envers moi, signor castellano, et vous faites aux lois plus d’honneur qu’elles n’en méritent. Je ne nierai pas qu’il existe une justice, ou ce qu’on appelle une justice, car je m’y connais, j’ai habité plus d’une prison avant celle qui m’a été procurée par ces saints moines, et j’ai vu tous les degrés que parcourt le coupable, depuis celui qui est effrayé de son premier crime, qui se le reproche dans ses rêves, et qui croit que chaque pierre de sa prison l’accuse, jusqu’à celui qui n’a pas plus tôt commis une faute qu’il l’oublie, en cherchant les moyens d’en commettre une seconde. Je prends le ciel à témoin que le débutant dans le vice en apprend plus par ce qu’on appelle le ministère de la justice, que par ses défauts naturels, ses besoins ou la force de ses passions. Si un juge avait les sentiments d’un père, les lois posséderaient cette pure justice qui n’est point pervertie, et la société deviendrait une communauté où chacun s’aiderait mutuellement. Sur ma vie ! châtelain, vos fonctions perdraient la moitié de leur poids, et toute leur oppression.

— Ce langage est hardi, mais sans but. Explique la manière dont tu as quitté Vevey, Maso ; la route que tu as suivie, les heures de ton passage par les différents villages, la raison pour laquelle tu fus découvert seul près du refuge, et pourquoi tu quittas les compagnons avec lesquels tu avais passé la nuit, si clandestinement et de si bonne heure ?

L’Italien écouta attentivement ces différentes questions ; puis il y répondit d’un air calme et grave. Il raconta son départ de Vevey, sa présence à Saint-Maurice, Martigny, Liddes et Saint-Pierre et tout cela était dans une parfaite harmonie avec les informations secrètes qui avaient été prises par les autorité. Il