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Ce sentiment d’amitié s’étendait depuis le supérieur jusqu’aux autres membres de la confrérie ; il faut aussi convenir qu’il était utile dans les intérêts des deux parties de l’entretenir. À l’époque que nous décrivons, les vastes possessions dont avaient joui les moines du Saint-Bernard étaient déjà bien diminuées par les séquestres qui avaient été mis sur leurs biens en différents pays, particulièrement en Savoie, et ils étaient réduits, comme aujourd’hui, à implorer la générosité des chrétiens pour satisfaire aux besoins des voyageurs. Les moines pensaient donc qu’ils ne payaient pas trop cher la libéralité de Peterchen en supportant ses plaisanteries, tandis que, d’un autre côté, il se présentait de si fréquentes occasions, tant pour lui que pour ses amis, de visiter le couvent, que le bailli avait bien soin que ces petites disputes ne dégénérassent jamais en querelles.

— Soyez le bien-venu, herr bailli, et pour la neuvième fois, soyez le bien-venu, continua le prieur en prenant la main de Peterchen, et en le conduisant dans son parloir particulier, vous serez toujours bien accueilli sur la montagne, car nous savons que nous recevons un ami.

— Et un hérétique, ajouta le bailli en riant de toutes ses forces, quoique cette plaisanterie fût répétée pour la neuvième fois. Nous nous sommes déjà souvent rencontrés, herr prieur, et j’espère que nous nous rencontrerons finalement lorsque nous aurons cessé de grimper sur la montagne, aussi bien que de courir après les biens du monde, et cela dans un lieu où tous les honnêtes gens iront en dépit du pape, de Luther, des livres, des sermons, des ave ou du diable ? Cette pensée me fait plaisir lorsque je vous donne la main, — et il secoua la main du prieur avec affection, — car je n’aime pas à penser, père Michel, que lorsque nous partirons pour notre dernier voyage, nous suivrons des routes différentes. Vous pourrez vous reposer un peu, si vous le jugez convenable, dans votre purgatoire : c’est un logement qui doit vous convenir, puisque c’est vous qui l’avez construit ; mais moi, je continuerai ma route jusqu’à ce que je sois bien établi dans le ciel, misérable pécheur que je suis.

Peterchen parlait avec la confiance d’un homme habitué à s’adresser à des inférieurs qui n’osent pas ou ne jugent pas prudent de contredire, et il termina ce discours par un nouvel éclat de rire qui retentit dans la cellule du prieur. Le père Michel prit en bonne part toutes ces plaisanteries, répondant comme à son