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au ciel. Jusque-là, il avait été de temps en temps favorisé par de tendres regards de l’une ou de l’autre de ces jeunes filles affectionnées, qu’il aimait tant toutes les deux, quoique avec des sentiments différents. Il semblait qu’elles aussi, l’avaient abandonné à sa vie isolée et privée d’espérance. Honteux de cette faiblesse passagère, le jeune homme continua sa promenade, et, au lieu de revenir sur ses pas comme auparavant, il marcha lentement devant lui, et ne s’arrêta que lorsqu’il eut atteint la petite chapelle des morts.

L’ossuaire du couvent, différent de celui du passage, est divisé en deux bâtiments ; l’un extérieur, et l’autre qu’on peut appeler intérieur, quoique l’un et l’autre soient exposés à l’injure du temps. Le premier contient des piles d’ossements humains blanchis par les eaux des orages, tandis que l’autre est consacré à couvrir ceux qui conservent quelque apparence de formes humaines. Dans le premier, des fragments d’ossements des deux sexes, d’hommes jeunes ou vieux, de nobles et de pauvres, de pénitents et de pécheurs, sont entassés dans une inextricable confusion, éloquent reproche pour l’orgueil de l’homme, tandis que les murailles de l’autre supportaient une vingtaine de cadavres noircis et décharnés, et prouvaient à quelle dégoûtante et effrayante difformité la race humaine peut être réduite lorsqu’elle est privée de ce noble principe qui la rend semblable à son divin Créateur. Sur une table, au centre du groupe de ces repoussants compagnons d’infortune, on avait placé les restes de Jacques Colis, qui avaient été retirés de l’ossuaire du passage, afin d’être examinés par les juges. Le corps avait été placé dans une attitude qui permettait aux dernières lueurs du jour d’éclairer le visage, car le pauvre Jacques n’était couvert que des habits qu’il portait pendant sa vie. Sigismond contempla longtemps ses traits livides. Ils étaient encore empreints de l’agonie qui saisit un homme lorsque son âme se sépare de son corps. Tout ressentiment des injures de sa sœur fut éteint par la pitié qu’il éprouva pour le sort d’un malheureux qui avait été si subitement enlevé aux passions, aux intérêts, à l’activité de la vie. Puis son imagination conçut la crainte cruelle que son père, dans un moment de colère, excité par le malheur qui pesait sur lui et sur sa famille, n’eut été l’instrument de cette mort si subite. Accablé de cette pensée, le jeune homme se détourna et dirigea ses pas vers le sentier. Un tumulte de voix le rappela à lui-même.