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sort si envié, à consoler le malheur, ne fut si forte que dans ce moment affreux.

Peu de temps après, Sigismond recouvra assez d’empire sur lui-même pour détailler ce qui venait de se passer. Ils se concertèrent ensemble sur les meilleurs moyens à prendre pour annoncer à Christine ce qu’il était nécessaire qu’elle sût.

— Dites-lui la simple vérité, ajouta Sigismond, — elle ne peut pas être longtemps cachée ; — mais dites-lui aussi que je suis fermement convaincu de l’innocence de notre père. Dieu, dans un de ces décrets qu’on ne peut scruter et qui défient l’intelligence humaine, l’a fait exécuteur public ; mais cette malédiction ne s’est point étendue jusque sur son cœur. Croyez-moi, chère Adelheid, il n’existe pas d’homme plus doux que Balthazar, le bourreau persécuté et chargé de mépris. J’ai entendu raconter à ma mère les nuits d’angoisses et de souffrances qui ont précédé le jour où les devoirs de sa charge devaient être remplis, et j’ai souvent entendu dire par cette femme admirable, dont le courage supporte le mieux notre infortune, qu’elle avait prié Dieu de reprendre à mon père la vie qu’il lui avait donnée, ainsi qu’à toute la famille, plutôt que de voir un de ses enfants souffrir un jour une agonie aussi cruelle que celle dont elle avait été constamment le témoin !

— Quel affreux malheur qu’il se soit trouvé là dans ce moment ! Quel motif a pu porter votre père à chercher un refuge aussi extraordinaire ?

— Christine vous dira qu’elle attendait mon père au couvent. Nous sommes une race de proscrits, mademoiselle de Willading ; cependant nous sommes des êtres humains.

— Cher Sigismond !

— Je sens mon injustice, et je ne puis que vous prier de l’oublier. Mais il y a des moments d’une si grande souffrance que je suis prêt à regarder tous mes semblables comme des ennemis. Christine est fille unique, et vous-même, Adelheid, si douce, si bonne si remplie de l’idée de vos devoirs, vous n’êtes pas plus chérie du baron de Willading que ma sœur ne l’est parmi nous. Ses parents l’ont cédée à votre généreuse bonté, parce qu’ils ont pensé que c’était pour son bien, mais ils n’ont pas été moins sensibles à cette séparation. Vous ne le saviez pas, mais Christine a embrassé sa mère pour la dernière fois, sur cette montagne, à Liddes, et il fut convenu que son père surveillerait