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— Blâmez-moi autant qu’il vous conviendra, Signore, dit Pierre se retournant et pressant encore le pas sans pouvoir néanmoins cacher entièrement le ressentiment que lui causait un reproche qu’il savait si peu mérité. Mais tâchez d’avancer ; tant que vous ne connaîtrez pas mieux la contrée dans laquelle vous voyagez, vos paroles ne seront pour moi qu’un vain son ; il ne s’agit pas de la bagatelle d’un manteau de plus, ce n’est pas ici un jeu d’enfants, mais une affaire de vie ou de mort. Vous êtes à une demi-lieue dans l’air, signor Génois, dans la région des tempêtes où les vents s’agitent parfois comme si tous les démons déchaînés les chargeaient d’éteindre le feu qui les dévore ; c’est ici que les corps les plus robustes, les cœurs les plus fermes ne sont que trop souvent contraints de voir et de sentir leur faiblesse.

En prononçant cette énergique remontrance, le vieillard avait découvert ses cheveux blancs par respect pour l’Italien ; puis il se remit en marche, dédaignant de protéger un front qui avait déjà supporté tant de fois les efforts de la tempête.

— Couvre-toi, bon Pierre, je t’en supplie, dit le Génois d’un ton de repentir, j’ai montré la vivacité d’un jeune homme, et l’excès d’une qualité qui convient peu à mon âge. Tu es le meilleur juge de notre position, et nous devons nous en rapporter à toi seul.

Pierre reçut l’apologie avec un salut à la fois fier et respectueux, et continua sa marche précipitée.

Dix minutes s’écoulèrent sombres et inquiètes ; la neige tombait de plus en plus fine et épaisse. De temps en temps des signes précurseurs semblaient annoncer que le vent allait s’élever ; ce phénomène peu important par lui-même devenait, à l’élévation où se trouvaient les voyageurs, l’arbitre de leur destinée. La diminution du calorique nécessaire à l’homme est, à cette hauteur de six à sept mille pieds au-dessus de la mer, et par une latitude de quarante-six degrés, une source fréquente de souffrances, même dans les circonstances les plus favorables ; mais ici elle augmentait de beaucoup le péril. L’absence seule des rayons du soleil suffit pour causer un froid pénétrant, et quelques heures de nuit amènent la gelée, au milieu même de l’été. C’est ainsi que des orages, qui n’auraient ailleurs rien de redoutable, anéantissent les plus fortes constitutions, déjà privées de leurs moyens de résistance, et quand on ajoute à la connaissance de ce fait celle que la lutte des éléments est beaucoup plus violente sur les points élevés de