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sur moi avec une expression singulière, et je n’ai pu encore en deviner le motif.

— Le signor est-il de Gênes ? demanda le guide ; serait-il par hasard attaché de quelque manière au gouvernement ?

— Je suis de la république, et même de la ville de Gênes, et j’ai sans doute quelques légers rapports avec ses autorités, répondit l’Italien en jetant un coup d’œil à son ami, tandis qu’un imperceptible sourire courait sur ses lèvres.

— Alors il n’est pas nécessaire de chercher plus loin la raison qui rend vos traits familiers à Maso, dit Pierre en riant ; il n’existe pas en Italie d’homme qui ait eu des occasions plus fréquentes de connaître ceux qui sont en place. Mais nous n’avançons pas en parlant de ce rusé compère. Étienne, presse les mules. — Presto, presto !

Les muletiers répondirent à cet appel par un de leurs avis prolongés qui ont quelque ressemblance avec un signal bien connu, le bruissement du serpent venimeux de ces contrées, qui veut avertir le voyageur de presser le pas, et ces voix produisirent sur les mules le même effet désagréable que l’homme ressent au sifflement du serpent ; mais il amena le même résultat. Cette interruption fit cesser l’entretien, et chacun continua sa marche en rêvant de différentes manières à ce qui venait d’arriver. Peu de minutes après, la troupe tourna le rocher dont nous avons parlé ; et quittant la vallée ou le bassin stérile qu’ils parcouraient depuis une demi-heure, ils entrèrent par une gorge étroite dans un lieu où l’on pouvait se croire au milieu d’une collection des matériaux qui, dans l’origine des siècles, servirent à la fondation du monde. Toute apparence de végétation avait disparu ; si un brin d’herbe se montrait encore çà et là, c’était à l’abri de quelques pierres ; ils étaient si maigres ; et en si petit nombre, qu’ils passaient inaperçus dans ce sublime tableau du chaos. Des rochers ferrugineux s’élevaient autour d’eux, dans leur triste et sombre nudité, dérobant même à la vue la pointe brillante du Vélan, qui les avait guidés si longtemps. Pierre Dumont fit remarquer une place sur le sommet visible de la montagne, où un léger intervalle entre les rochers laissait apercevoir le ciel ; il dit à ceux qu’il guidait que c’était le Col, et qu’une fois qu’il serait franchi, la barrière des Alpes serait surmontée. La lumière qui régnait paisible encore dans cette portion du ciel formait un contraste frappant avec l’obscurité toujours croissante de la