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nête Pierre ? demanda le signor Grimaldi en s’arrangeant sur sa selle, au moment où, laissant derrière eux les cailloux, les toits avancés et les immondices du village, ils se trouvaient de nouveau sur un terrain plus agréable. Notre ami le trésorier est prévenu de notre visite, et comme nous avons déjà passé ensemble des heures bonnes et mauvaises, le plaisir de le revoir me semble une compensation aux mets assez frugals que nous venons de partager.

— Le frère Xavier est un prêtre bienveillant et hospitalier, Signore ; et il conservera longtemps les clefs du couvent, si le ciel écoute la prière de tous les muletiers, guides ou pèlerins qui traversent le Col. Je voudrais, Messieurs, que nous gravissions, dans ce moment même, le sentier escarpé qui nous fera franchir le dernier rocher de la montagne, et que cette partie de la route ait été aussi heureuse que celle que nous avons déjà parcourue.

— Prévoyez-vous quelque obstacle, mon ami ? demanda l’Italien en s’appuyant sur ses arçons, car il avait remarqué le regard soupçonneux que le guide avait jeté autour de lui.

— Obstacle, Signore, est un mot que les montagnards ne prononcent pas légèrement, et je suis un des derniers à y penser ou à redouter son approche. Mais nous touchons à la fin de la saison ; l’air de ces montagnes est froid et piquant, et nous sommes suivis de plantes délicates qui supporteraient mal le souffle de la tempête. Le souvenir d’une fatigue est plus doux que son attente. Je n’ai pas eu l’intention de dire autre chose.

Eu cessant de parler, Pierre suspendit sa marche, se plaça sur une petite éminence de la route, d’où, en se retournant, il découvrait une vaste portion de montagnes qui indiquent le site de la vallée du Rhône ; il y plongea un regard long et intelligent, puis il revint et se remit à marcher de l’air d’un homme plus disposé à agir qu’à réfléchir sur l’avenir. Sans le peu de paroles qui venaient de lui échapper, ce mouvement tout naturel n’aurait pas attiré l’attention ; il ne fut même remarqué que du signor Grimaldi, qui n’aurait attaché que peu d’importance à ces circonstances si le guide avait conservé son pas habituel.

Comme c’est l’usage dans les Alpes, le conducteur était à pied, réglant sa marche de la manière qu’il jugeait la plus commode pour les hommes et les animaux qui le suivaient. Jusque-là Pierre avait marché sans se presser, obligeant ainsi toute la caravane à n’avancer qu’assez lentement. Mais alors il marchait beaucoup