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foncer dans ces masses confuses des montagnes qui forment l’arrière-plan du tableau que nous avons aperçu du château de Blonay et des rives du Léman. Ils descendirent bientôt dans un vallon et suivirent les sinuosités d’un torrent bruyant qui les conduisit par de nombreux détours dans une région de pâturages froids et élevés, dont les habitants soutiennent du produit de leurs laiteries une existence assez peu heureuse.

À quelques lieues au-dessus de Martigny la route se sépare de nouveau, l’on incline à gauche vers la haute vallée, devenue depuis si célèbre dans les fastes de ce pays sauvage, par la formation d’un petit lac au milieu de ces glaciers, qui bientôt, trop pesant pour ses bases, rompit ses barrières de glaces, descendit vers le Rhône, traversant comme une masse imposante une distance de plusieurs lieues, renversant et entraînant tout ce qui se rencontrait sur son passage, et rendant même, en plusieurs endroits, la face de la nature méconnaissable aux habitants de ces lieux désolés. On découvrait la pointe brillante du Vélan, et quoiqu’elle fût beaucoup plus rapprochée de l’œil qu’à Vevey, c’était toujours une colonne éclatante entourée de mystère et de solitude, sur laquelle la vue aimait à se reposer, comme elle se plaît parfois à contempler les contours purs et variés d’un nuage immobile.

Nous avons déjà dit que la pente du grand Saint-Bernard, si on excepte quelques inégalités accidentelles, n’était très-rapide qu’à l’endroit même où il faut surmonter le dernier obstacle que présentent les rochers. Une route assez praticable, malgré la direction ascendante qu’elle conserve nécessairement, circule au travers des vallées, dont la plupart sont cultivées, quoique l’aridité du sol et le peu de durée de la saison favorable n’accordent au laboureur qu’un faible prix de ses travaux. Elle diffère sous ce rapport de presque tous les autres passages des Alpes ; mais s’il manque des caractères variés, sauvages et sublimes que déploient le Splugen, le Saint-Gothard, le Gemmi, c’est encore une pyramide d’une arête magnifique. Le voyageur qui s’élève par degrés insensibles vers le sommet, sent peu à peu disparaître les liens qui l’attachent au monde qu’il voit sous ses pieds.

Depuis l’instant où ils avaient quitté l’auberge jusqu’à la première halte, Melchior de Willading et le signor Grimaldi marchèrent à côté l’un de l’autre comme le jour précédent. Les deux amis avaient de mutuelles confidences à se faire, et la présence